S’attaquant à un remake ambitieux de John Cassavetes, Zonca se tire plutôt bien de son audacieux pari américain.
Etonnant parcours que celui d’Erick Zonca. Il avait explosé tardivement avec La Vie rêvée des anges en 1998, son premier long métrage à 42 ans, puis avait enchaîné rapidement avec l’excellent Petit Voleur qui révélait Nicolas Duvauchelle. Ensuite, plus rien. Et dix ans après, revoilà Zonca, en provenance des Etats-Unis, avec un film américain (lardé de touches mexicaines et anglaises). On est loin des parcours français habituels, même si une telle trajectoire aventurière n’est pas la garantie absolue de l’excellence cinématographique. A vrai dire, le film commence assez moyennement, et l’on craint d’abord que ce retour de Zonca soit un pétard mouillé. Julia est un remake du Gloria de John Cassavetes, référent peut-être trop écrasant. Avec sa mise en scène physique, sa photo à gros grain, son actrice principale lancée dans une performance de femme usée, déjantée, alcoolo, on se dit qu’Erick Zonca se la joue peut-être trop Cassavetes frenchy, qu’il force un peu l’imitation de son fantasme de ciné américain indé seventies, peu aidé par un scénario au démarrage laborieusement alambiqué. De plus, l’influence Cassavetes arrive comme à contre-temps, quinze ans, après la redécouverte de son cinéma en France grâce à une belle rétrospective.
Mais Julia est de ces films qui s’améliorent sur la durée et finissent par embarquer le spectateur et le morceau. Après une vingtaine de minutes d’exposition poussive, le film débute vraiment avec le rapt du gamin par Julia. On devine bien que Zonca va dessiner un arc de la brutalité d’un enlèvement jusqu’à une ébauche de relation filiale entre le gosse et sa ravisseuse, mais ça fonctionne, on se laisse prendre à ce récit attendu qui tient par l’excellent jeu des acteurs et l’investissement total du cinéaste : tard dans le film, quand Julia et son petit otage, traqués par la famille et la police, s’offrent un moment de répit dans leur harassante cavale, une siesta lovés l’un contre l’autre, c’est une scène à la fois très simple et très émouvante, avec une petite pincée de sensualité incestueuse. Il y a aussi cette dernière partie mexicaine, impressionnante. Déjà, il n’est pas courant que l’on passe illégalement cette frontière dans le sens Nord-Sud, ce que font Julia et le môme. Mais la façon dont Zonca filme la bourgade mexicaine (Tijuana ?) produit un puissant sentiment de déplacement et d’altérité : on est soudainement plongé dans un monde à la fois vif et pauvre, tendu et dangereux, qui produit le même genre d’énergie que le premier segment du Amours chiennes d’Iñárritu – d’ailleurs, un des acteurs mexicains de Zonca ressemble furieusement à Gael García Bernal.
Malgré ses défauts, Julia parvient à arracher d’intenses fragments d’énergie brute, sur fond de tensions Nord-Sud et d’empathie avec les perdants de notre monde. Et c’est un portrait de femme probant – grâce à une Tilda Swinton assez ébouriffante, incarnant une Julia ravagée, tranchante, d’un sex-appeal troublant. Zonca a concrétisé son rêve américain et gagné le droit de ne pas être systématiquement renvoyé à Cassavetes.
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