Juge & coupable. Ni réussite mineure comme Les Pleins pouvoirs, ni chef-d’oeuvre caché comme Minuit dans le jardin du Bien et du Mal, Jugé coupable est seulement ni fait ni à faire. Comme si Clint Eastwood se désintéressait de son film pour décliner son personnage de vengeur déglingué. Comment doit réagir le critique transi quand […]
Juge & coupable. Ni réussite mineure comme Les Pleins pouvoirs, ni chef-d’oeuvre caché comme Minuit dans le jardin du Bien et du Mal, Jugé coupable est seulement ni fait ni à faire. Comme si Clint Eastwood se désintéressait de son film pour décliner son personnage de vengeur déglingué.
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Comment doit réagir le critique transi quand son idole commet un film aussi ouvertement faible que Jugé coupable (True crime) ? D’abord le revoir une seconde fois, et convenir en grimaçant que c’est à peine mieux que la première, que la déception reste aussi forte, surtout après Minuit dans le jardin du Bien et du Mal. Puis il lui faudra choisir sa grille d’analyse, adopter un point de vue et s’y tenir pour espérer convaincre. S’il opte pour ce qu’est devenue la vieille « politique des auteurs » (une machine désuète et déréglée où seul le mot « politique » importe encore, appliquée à des « auteurs » qui ne sont pas assez « cinéastes » pour qu’elle puisse fonctionner, comme dirait Biette), il pourra tenter de justifier True crime à l’aune des chefs-d’oeuvre incontestables d’Eastwood, de l’économie générale de son oeuvre, ou de sa place dans le cinéma américain d’hier et d’aujourd’hui.
La tentation est forte, ce serait tellement plus simple. Mais se contenter de justifier un pareil film d’Eastwood serait absurde et malhonnête. D’abord parce que sa propension à faire suivre une méditation subtile par une pochade plus ou moins aimable ne date pas de l’enchaînement Minuit/True crime. Le Maître de guerre avait succédé à Pale rider, La Relève (The Rookie) à Chasseur blanc, coeur noir et Bird, Firefox à Bronco Billy.
Depuis toujours, Eastwood alterne films ambitieux et divertissements de circonstance, soit parce que c’est dans sa nature (une volonté de rigueur qui s’oppose à une compulsion vers le dérisoire déconnant et flemmard, hypothèse Philippe Garnier), soit parce que ça lui est simplement nécessaire pour se maintenir à flot d’un strict point de vue commercial. Aucune honte à ça, le problème est ailleurs.
Il ne s’agit pas de reprocher à Eastwood de nous proposer la banalité d’un suspens criminel après la splendeur méditative de Minuit. Mais seulement de constater que True crime est son plus mauvais film depuis La Relève (1990), ce qui n’est pas peu dire. En endossant le rôle d’un vieux journaliste dragueur revenu de tout mais pas encore de toutes, Clint propose un écho lointain au personnage de John Cusack dans le film précédent.
Comme John Kelso arrivait sans enthousiasme à Savannah, Géorgie, pour torcher quelques feuillets sur une figure locale, avant de se laisser happer par les événements, le charme vénéneux de son sujet et le génie du lieu, Steve Everett/Clint Eastwood est chargé de remplacer au pied levé une jeune et jolie collègue qui s’est tuée en voiture, juste après qu’il l’a draguée dans un bar et qu’elle a courageusement résisté à ses avances.
D’abord pur travail de routine destiné à rassurer ses chefs quant à la permanence de son savoir-faire, le compte rendu des derniers instants avant son exécution d’un père de famille noir condamné pour un meurtre qu’il n’a pas commis devient l’ultime croisade d’un professionnel certes fatigué mais encore compétent, prêt à tout pour se refaire et retrouver l’estime de soi.
Mari adultérin d’une femme trop bien pour lui, mauvais père d’une adorable bambine, fouteur de merde patenté qui a perdu son flair, alcoolique récemment repenti et journaliste d’investigation en quête de rachat après s’être ridiculisé à défendre un violeur finalement coupable, Everett est un personnage éminemment eastwoodien. Qui passe d’un oubli désiré à la réaffirmation de soi, qui ne peut s’empêcher de se faire tout un film de la corvée qui lui tombe dessus, et qui gagnera contre tous les affreux, seul mais libre de (re)disparaître une fois l’affaire réglée, tel qu’en lui-même. Clint is back, une fois de plus, une fois de trop ?
Qu’Eastwood ne sache pas se lasser de son personnage de déglingué efficace ou de justicier cafouilleux, passe encore. Les gimmicks lourdement répétés de la clope (« Regardez comme je ne suis pas politiquement correct ! ») ou des lunettes (« Je suis myope mais je bande encore ! ») arrachent un sourire fatigué mais complice, comme on rit de la blague connue par coeur d’un vieil ami qui ne va pas fort, par fidélité et au nom d’une reconnaissance ancienne, de guerre lasse. Mais les choses se gâtent quand le personnage doit quitter sa défroque de flâneur élégant qui ne sert à rien ni à personne pour devenir l’élément dramaturgique d’un compte à rebours. L’innocent va y passer, Clint doit se dépêcher, courir contre la montre, faire semblant d’y croire. Et l’efficacité nécessaire du montage parallèle entre les investigations essoufflées d’Everett et l’interminable attente du condamné s’accommode mal de la désinvolture du scénario et de la mise en scène.
Si Les Pleins pouvoirs (1997) réussissait à être un film certes mineur mais amusant et léger, c’est qu’Eastwood s’y souciait comme d’une guigne de la notion même d’efficacité et parodiait avec grâce un sujet qui s’y prêtait, réglant quelques comptes au passage et déplaçant les enjeux majoritaires vers un absurde bien tempéré. Mais dans True crime, il n’est pas là que pour rigoler. Il ne peut pas se contenter d’exhiber sa mise de vieux sage qui s’amuse, il lui faut assurer le coup pour espérer rafler la mise. A quoi bon, sinon ?
Encore distrayant dans la gestion des digressions inutiles (la visite du zoo, les scènes au journal), parfois émouvant quand une longue séquence de rupture vient rompre la construction artificielle de l’ensemble, True crime devient un peu pathétique quand il ne compte plus que sur les coups de force du scénario pour avancer vers son dénouement. En accumulant les incongruités et les énormités (ah, le coup du pendentif en forme de coeur !), que cherche à démontrer Eastwood ? Qu’il est au-dessus de la vraisemblance minimale et qu’il peut tout se permettre ?
Mais la parodie ricanante et le suspens primitif (Intolérance est explicitement cité) n’ont jamais fait bon ménage. Surtout quand l’absence de toute ambiguïté est poussée à ce point, que le parallélisme entre le Noir père de famille trop parfait et le Blanc buveur et coureur est si lourdement souligné, et que la mise en scène prend le parti d’accuser les incohérences au lieu de tenter de les camoufler (ah, ces zooms sur le dictaphone ! ah, ce raccord entre le dessin de la petite fille et le tableau du restaurant !).
A force de courir deux lièvres à la fois (le suspens machinal de l’exécution et l’aspect accidentel et foireux de sa résolution), le film perd sur tous les tableaux. S’il commence par prendre le parti des faits bruts et des détails topographiques contre celui du sentimentalisme à la Dead man walking, Eastwood ne peut s’empêcher d’injecter une grosse dose de guimauve explicite dans l’avant-dernière séquence. On se serait bien passé de ce poing noir qui cogne sur la vitre au ralenti.
Au nom d’une variante infantile de la « politique des auteurs », on pourra m’objecter qu’il y a de la grandeur dans ce refus foutraque de livrer un film de genre bien bouclé, conforme au formatage en vigueur à Hollywood, et que l’échec d’Eastwood ne fait que prouver son immense talent, serait-ce par défaut. L’air est connu, je l’ai moi-même beaucoup chanté. Mais que dire alors de Bird (biopic sublime), d’Impitoyable (western définitif), d’Un Monde parfait (film parfait), de Sur la route de Madison (mélodrame enchanté) et de Minuit (Ford honoré dans sa propre maison) ?
Dans tous ces films magnifiques, Eastwood parvenait à conjuguer son goût si singulier de la balade en solitaire avec une rigueur sans faille, un classicisme ouvert à l’expérimentation. Alors que dans True crime, il passe son temps à faire le malin, à sursignifier qu’il est beaucoup plus intelligent que le film qu’il est en train de faire. Il a oublié que si le clin d’oeil est admis pourvu qu’il soit bref, le second degré n’existe pas au cinéma. Et que la paresse y est souvent rédhibitoire. « Come on, make my day. »
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