Péréginations d’un ventre vide dans les nuits cannoises.
Ça commence quand, le « ventre mou du festival », cette fameuse période dont l’odeur se répand aux alentours du premier week-end, et qui se manifeste par un petit coup de moins bien dans les films, les soirées, les haleines ? Certains disent plutôt dimanche, jour du Seigneur et du repos (mais pas pour nous autres laïcs insomniaques), d’autres plutôt le lundi, lendemain forcément difficile de la fort attendue teuf de la Semaine de la critique.
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Le coup de moins bien, je l’ai peut-être ressenti en échouant à faire entrer du beau linge au Vertigo, où j’avais convaincu d’emmener Swann Arlaud depuis la sortie d’une fiesta mise en musique par Jacky à l’autre bout de la Croisette. Sauf que quelque part vers la fin de ce périple interminable, que j’appellerai Le Voyage d’Arlaud, qui n’est pas le meilleur Pixar, j’ai perdu Swann je ne sais pas comment. Il était sûrement rentré du côté de chez lui ? Orphelin, je fais de même.
Mon morceau préféré du set de Jacky, parce que c’est moi qui le lui ai soufflé.
Mais que le ventre soit mou ou ne le soit pas, le mien était surtout vide, le lendemain, au moment où Chef Jean-Marc me proposa amicalement de m’inscrire avec lui à la soirée du Fooding.
Bingo. J’aurais préféré une formule Margherita-Sprite-Efferalgan chez San Telmo, mais je ne cracherai pas non plus contre un truc de foodista, un « hamburger gourmet », un « plat de bistrot revisité » une « petite assiette » avec de l’ail des ours, ou de la crème de sésame, ou tout ça à la fois : je veux manger binge-étoilé. Contre-bingo : arrivé sur place, je constate 1) que les cannois ne savent pas qui est Mauro Colagreco, chef du 4e meilleur resto du monde pris pour un barista intérimaire par des accrédités dédaigneux lui tendant leur coupe vide sans le moindre regard (un peu comme s’ils prenaient Kechiche pour un appariteur pendant la montée des marches : « bah alors, il va me le bipper mon badge ou rester planter là ? »), et surtout 2) que je ne peux rien manger : pas moyen de piger ce qu’il y a dans l’assiette, mais je comprends au moins que c’est de la viande ou du poisson, et devinez qui est végétarien ?
Heureusement, la fête de l’ACID, sélection parallèle bonne franquette et festivités ad hoc, a lieu un peu plus bas. Étant prévoyant, j’ai aussi glané des invites, bien qu’en m’emmêlant un peu les pinceaux (« T’as des acides pour la fête du carton ? Non, attends, je me suis trompé – »), et j’y ai déjà dépêché une envoyée spéciale, qui me confirme la présence d’aliments non carnés.
J’y file donc, juste après m’être formellement présenté à ma candidate préférée à Top Chef 2019, Alexia Duchêne, invitée au festival en tant que « vue à la télé » mais surtout en tant que fanzouze hardcore d’Elton John, biopiqué non loin dans le Rocketman hors-compète. Je lui promets que la soirée acide est bien rééquilibrée en sucre, mais elle préfère rester dans l’ail des ours, alors je repars seul, et me réjouis du spectacle sitôt arrivé : DJ de mariage, barnum ruisselant et mousseux tiède : n’en déplaise aux péteux du Fooding, ici on ne fait pas chichis, on s’essuie sur la nappe et on fait souffler la flamme du Cannes solidaire, bien représenté par un pot commun organisé en amont du Vertigo pour y régler nos diabolos grenadine.
Des diabolos un peu chargés visiblement, car je dormirai le lendemain pendant l’intégralité du Diao Yi’nan, qui occasionne à nouveau quelques difficultés de compréhension dans une conversation téléphonique entendue à la volée, chez mon voisin de file d’attente, lui aussi les yeux déjà mi-clos :
« – Tu me rejoins au chinois ?
– Trop tard, j’ai déjà mangé. »
En fait, il voulait juste un poulet citronnelle. Il faut faire attention avec ce genre de confusions : à Cannes, cette année, les tensions transnationales sont à leur comble.
The French press are the absolute worst at cutting lines (and yes they are French). Never seen anything like it any other festival. #Cannes2019
— Gregory Ellwood – The Playlist 🎬 (@TheGregoryE) May 19, 2019
En attendant, une catastrophe s’est abattue sur la Croisette : il pleut.
Et c’est en train de tout chambouler, comme dans un disaster movie. Un vent de changement souffle : Chef Jean-Marc et moi ne passons que huit minutes à la « fameuse fête de la Semaine de la Critique » un peu délaissée cette année par les beautiful people qui ont l’habitude de la peupler, et préférons filer un peu plus loin en plage Magnum, où l’équipe du film de Christophe Honoré s’entasse autour d’un bac à bières dans une espèce de promontoire V.I.P. Pour détendre l’atmosphère, je glisse un maximum de glaçons dans le dos de Félix Moati et de Vincent Lacoste, mais pas d’Anaïs Demoustier, dont l’encolure se prêtait moins à mon humour.
Arrivé à la fin du bac, il est temps de reprendre ma route : je me remets à arpenter, passe environ cinq minutes au Vertigo partager la piste de danse avec quelques âmes perdues en montée de quelque chose, mais ne me sentant pas l’âme d’un maillot à pois (meilleur grimpeur), je préfère rentrer tranquillement. Surprise : on ne m’avait pas prévenu qu’il y avait une réunion de rédaction dans la sandwicherie en bas de chez nous.
Comme Chef Jean-Marc invite, je reprends un panini au risque que mon ventre devienne, véritablement, mou, pendant que le maître kébabier me charrie : « alors, elle est où la brune de l’autre soir ? » Je n’ai aucune idée de qui il parle : j’ai vaguement le souvenir d’une brune, mais pas du tout de l’avoir emmené manger turc (je suis un peu plus romantique que ça). Pour le sport, je laisse quand même croire aux autres que c’est vrai, pendant que Jacky, bravache, m’intime d’honorer notre engagement à regarder séance tenante l’ultime épisode de Game of Thrones, depuis notre petit lit superposé.
C’est peut-être pas la manière la plus rock’n’roll d’avoir fait une nuit d’une heure à Cannes, mais c’était la plus belle, Jacky.
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