Après un longue disparition des radars (mais pas tout à fait des écrans), l’inoubliable lycéen prince du cool de « Virgin Suicides » revient dans un premier film japonais réjouissant. Rencontre avec un superbe pré-quadra, lucide sur sa position à Hollywood, et dont le charme demeure inentamé.
Le dernier rôle marquant de Josh Hartnett au cinéma, c’était selon nous il y a douze ans, dans Le Dahlia noir, étrange et entêtant film de Brian De Palma, adapté de James Ellroy, où il interprétait le détective en charge de l’enquête sur l’assassinat d’Elisabeth Short. Il y avait comme toujours cet air de ne pas y toucher, avec ces yeux légèrement renfoncés, fixes, impériaux, semblant dire tour à tour — à moins que ce soit simultanément — « t’inquiète, ça va aller » et « je n’ai pas la moindre idée de ce qui est en train de se passer ». Force des acteurs minéraux : on y projette ce que l’on veut.
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A l’époque, Josh Hartnett n’était peut-être pas, ou plus, l’acteur le plus bankable de sa génération, mais il était toutefois un de ceux qui comptaient, à qui on faisait lire les scénarios au premier tour de table. Il occupait peu ou prou la place même qu’un Ryan Gosling il y a dix ans ou qu’un Robert Pattinson aujourd’hui. La situation a bien changé depuis. Des films, il en a fait un certain nombre après Le Dahlia Noir, en 2006 — une douzaine selon sa fiche imdb — mais aucun n’est parvenu jusqu’à nos yeux ; et on se demande aux yeux de qui sont parvenus certains, à peine distribués, comme morts-nés. Seule la série télé Penny Dreadful, lors de ses trois saisons diffusées entre 2014 et 2016, lui a valu un peu de reconnaissance, grâce à son interprétation velouté d’un cow-boy lycanthrope.
On le rencontre longuement à Paris à l’occasion de la promotion d’Oh Lucy, premier long-métrage d’une jeune réalisatrice japonaise, Atsuko Hirayanagi. Quasi quadra, structuré dans sa pensée, précis dans son élocution, portant la moustache et les premières rides à ravir, il commence par nous expliquer avoir « aimé le court-métrage dont ce film-ci est le remake, et cherché comme souvent la compagnie des jeunes cinéaste qui ont des choses à prouver ». Il joue là un professeur d’anglais, à Tokyo, qui décide un jour de rentrer dans sa Californie natale et s’y fait traquer par une de ses élèves, amoureuse de lui. Son temps de présence à l’écran n’y est pas énorme, mais ses quelques scènes suffisent à nous faire regretter de l’avoir perdu de vue depuis si longtemps. Le film, repéré à la Semaine de la Critique à Cannes l’an dernier, doit en effet beaucoup à son charme flegmatique, à son allure souveraine d’Apollon des plages, que Sofia Coppola immortalisait il y a presque vingt ans dans Virgin Suicides.
En outre, même s’il n’est plus la star d’antan, le comédien offre au film une exposition supplémentaire : « J’aime jouer dans des films indépendants et les aider à élargir leur audience, tandis qu’un blockbuster n’a pas besoin de moi pour exister », se justifie-t-il lorsqu’on lui demande ce qui le pousse à s’impliquer dans ce genre de projets. Ne serait-ce pas plutôt une façon de taire que ce sont les blockbusters qui ne veulent plus de lui ? Sans illusion, il répond : « je ne vous cache pas que c’est déprimant quand je joue dans un film qui ne sort même pas en salles — ce qui heureusement n’est pas le cas d’Oh Lucy, qui va même avoir une belle combinaison de salles aux Etats-Unis. La possibilité d’être vu, d’avoir un impact culturel, ça compte. Mais je refuse que ce soit le seul marché qui dicte ma carrière. Je ne veux plus. J’ai besoin de tomber amoureux des projets. J’ai besoin d’un frisson ».
Marché : le mot revient plusieurs fois dans l’entretien, à la fois totem et tabou. Ne plus en être l’esclave, mais ne pas le mépriser non plus ; s’en tenir à saine distance : voilà l’objectif. Juste après son éclosion dans des teen-movies plus ou moins chic à la fin des années 90 (Virgin Suicide, The Faculty), il se fit trop vite poster boy ; et s’il ne cite aucun nom (bien sûr), on se doute que des films comme Pearl Harbor de Michael Bay ont laissé des traces, traces qui expliquent sa disparition des radars quelques temps plus tard. « Je ne prenais plus de plaisir à faire mon métier, alors j’ai préféré prendre du recul ». C’est ainsi qu’il changea d’agent, quitta L.A. pour son Minnesota natal, puis pour New-York, et devint célèbre pour ne plus vouloir l’être.
Y a-t-il des portes qu’il regrette d’avoir claquées ? « J’ai refusé d’être Batman à l’époque de Begins (en 2005, ndlr) parce que je ne voulais pas m’enfermer dans ce type de rôles. C’est moins le personnage que je regrette d’avoir manquée, que Christopher Nolan, un des auteurs les plus doués au monde », confesse-t-il, en insistant toutefois sur son absence d’amertume. Il ajoute : « mon amour du cinéma vient des auteurs, pas des acteurs ». Ainsi, lorsqu’il découvrait 8 1/2, adolescent, à l’époque où il voyait trois ou quatre films par jour, ce n’était Mastroianni qui le fascinait mais bien Fellini, qui reste aujourd’hui son cinéaste préféré. On s’enquiert de ses plus grandes admirations parmi ceux avec qui il a travaillé, et il cite, sans surprise : Sofia Coppola, Roberto Rodriguez, et surtout Brian De Palma, dont il loue « l’intelligence, la connaissance démente de l’histoire du cinéma et l’intégrité artistique, ainsi que sa capacité à challenger les spectateurs, à repousser ce qui est acceptable ». Il évoque également Hunter S.Thompson, avec qui il traina circa 2002 et dont il rêvait d’adapter les Rum Diaries — le film se fera finalement en 2011, sans lui. Enfin le nom de Raoul Peck fait surface, pour projet hélas avorté. Aujourd’hui, à choisir, c’est de Jacques Audiard dont il serait ravi de recevoir un coup de fil…
Seulement, à 39 ans, il n’a plus envie d’attendre que le téléphone sonne. Alors il écrit. Rien de tel en effet pour un acteur que de créer ses propres opportunités. Il avait déjà pondu un scénario, en 2002, une comédie, et l’avait même vendu à Dreamworks. Mais le projet, comme tant, s’était perdu dans les limbes du développement, et lui-même a trop changé pour vouloir se repencher sur son berceau. Ces jours-ci, il peaufine un scénario de série, « de la SF mais réaliste, plus science que que fiction », ainsi qu’un long-métrage, « quelque chose d’assez satirique », qu’il espère réaliser lui-même (il ne veut pas en dire plus pour l’instant). Pour ce faire, il a dû quitter New-York et revenir à Los Angeles, mais passe toujours beaucoup de temps à Londres, où vivent pour l’instant sa femme (Tamsin Egerton, mannequin et actrice britannique) et leurs deux enfants.
Si son projet aboutit, ce ne sera toutefois pas la première fois qu’il passe derrière la caméra. En 2009 en effet, il co-réalisait (et produisait) un clip pour son ami Kid Cudi : The Pursuit of Happiness. Celui-ci s’était laissé convaincre par le comédien qu’il n’y avait pas meilleur façon de figurer la poursuite du bonheur, « qui n’est pas la même chose que le bonheur », glisse-t-il, qu’en se filmant au milieu d’une foule festoyant au ralenti, le champagne coulant à flot, Drake à ses côtés. Les paroles, dans le plus pur style existentialiste du rappeur — dont, coïncidence, le jeune comédien Timothée Chalamet nous confiera quelques jours plus tard qu’il en était aussi bouleversé —disait ceci : « Je suis à la recherche du bonheur et je sais que tout ce qui brille n’est pas d’or, mais ça ira quand je l’aurai, ça ira… ». Alors ça ira.
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