Héritier d’Éric Rohmer et d’Hong Sang-soo et révélé en France avec “Eva en Août”, le Madrilène Jonás Trueba enchante ce début d’année avec son nouveau film. À cette occasion, le cinéaste se confie sur sa bataille pour faire un cinéma libre, bâti sur l’amitié et la confiance et qui reste ouvert aux épiphanies du hasard.
Découvert en France en 2020 avec Eva en août, alors qu’il était déjà l’auteur de quatre longs métrages (hélas non exploités dans les salles françaises), Jonás Trueba envisage son cinéma non comme une somme d’œuvres distinctes qui en composerait une plus globale, mais comme un territoire commun dans lequel les films se fondent.
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Semblant appartenir à un même univers étendu, ils se construisent comme une série de variations qui dialoguent entre eux et dans lesquels les mêmes visages et thématiques se meuvent. « Je suis plus intéressé par l’idée de faire du cinéma d’une manière concrète en termes de production, d’amitié et de confiance. C’est mon souhait le plus cher si le spectateur peut sentir cette familiarité entre les comédiens sans avoir vu mes films précédents”, confesse le réalisateur.
En six films – Les Idéalistes (2013), Les Exilés romantiques (2015), La reconquista (2016), Eva en août (2020), Qui à part nous (2021) et Venez voir (en salle le 4 janvier) – le Madrilène de 41 ans a constitué une œuvre d’une parfaite cohérence qui navigue entre le souffle hédoniste, l’urgence de vivre – chère à ses personnages –, et les incertitudes amoureuses et existentielles qui les secouent. Au cœur, les comédiens Francesco Carril, Vito Sanz et la comédienne Itsaso Arana forment une bande d’indéfectibles compagnons, mais aussi une incarnation poignante du temps qui passe, film après film.
Venez voir, son dernier film en salles ce mercredi 4 janvier, est certainement à ce jour l’incarnation la plus pure et jusqu’au-boutiste de son cinéma. En entretien, il nous avoue qu’il n’aurait certainement pas eu la confiance et le courage de le mener à bout il y a quelques années. “J’avais dès le début le désir de faire un film court et modeste, presque inachevé. Un film plus sensoriel que narratif et qui s’inscrit au sein d’une échelle très petite, la même que celle que l’on occupe dans l’univers”, nous raconte-t-il.
Un tournage de 8 jours
Tourné en seulement huit jours avec ses fidèles allié·s (Itsaso Arana, Francesco Carril, Vito Sanz auquel s’ajoute la nouvelle venue Irene Escolar), Venez voir a pour centre une ligne narrative aussi courte (1 heure) que simple (un aller-retour de la ville à la campagne mené par la visite successive de deux couples d’ami·es). Le film de Trueba trouve dans ce dépouillement intensifié une matière formidablement vivante. Le tournage semble ici se vivre comme un laboratoire sans cesse perméable au monde et au hasard qui le percute. Au-delà des masques anti-Covid portés par les acteur·trices et qui agissent comme le témoin de l’époque du tournage, une scène de partie de ping-pong théorise parfaitement ce désir. D’un cadre très défini (un plan séquence fixe), la caméra se met au service du sort inconnu du rebond d’une balle de ping-pong et donc de l’issue de la partie. “J’ai fait évoluer ma méthode de scénario. Maintenant, je préfère écrire le film pendant le tournage ou les répétitions. C’est important que le film vive pendant le tournage et reste ouvert. On travaille pour le hasard”, commente-t-il.
Un rythme de production soutenu
Une méthode de travail qui engendre nécessairement des difficultés de financement, mais dont le réalisateur ne se plaint pas. À l’image d’Éric Rohmer ou d’Hong-sang Soo, il semble avoir mis en place un écosystème qui lui permet de tourner rapidement et avec peu de moyen tout en préservant son idée du cinéma. Il déclare : “c’est une mauvaise idée de voir la production comme l’ennemi. Au contraire, cela nous permet de travailler librement, de manière à la fois très précise et avec très peu de budget. C’est pourquoi Rohmer et Hong-sang Soo sont pour moi les cinéastes les plus stimulants du cinéma moderne. Ils ouvrent autant l’idée de cinéma que son espace de création”.
Contrairement aux autres cinéastes espagnols de sa génération qui achèvent un film tous les trois ou quatre ans, Trueba tourne des films modestes économiquement, mais à un rythme particulièrement soutenu (quatre films en six ans). “J’ai lu une phrase du cinéaste suisse Alain Tanner, que j’aime beaucoup, qui dit qu‘entre le moment de la première sensation du film et sa finalisation, on ne doit pas dépasser une année. C’est un idéal très difficile à atteindre, mais c’est vrai. Je préfère renoncer à beaucoup de choses pour obtenir cette vitesse dans le processus créatif. C’est comme ça que le cinéma peut rester ouvert et vivre.”
“Pour le moment, ma bataille c’est de faire des films pour la salle”
Une nouvelle génération de cinéastes espagnol·es
En attendant de découvrir probablement bientôt ces premiers films dans les salles françaises, le cinéaste maintient sa productivité effrénée et réfléchit déjà sur la possibilité d’un nouveau film dont il vient d’effectuer les premiers essais avec les fidèles Itsaso Arana et Vito Sanz.
Une grande vivacité qui participe à un véritable renouveau dans le cinéma espagnol. Une nouvelle génération de cinéastes que Trueba incarne aux côtés de Rodrigo Sorogoyen (El Reino, As Bestas), Carla Simón (Été 93, Nos Soleils) ou encore Pilar Palomero (Las Niñas). “C’est très important ce nouveau souffle, car la situation du cinéma espagnol est très difficile, c’est une espèce de crise permanente. Et puis, il y a la relation avec les plateformes qui me met en colère car elle détruit la tradition et l’expérience du cinéma. Pour le moment, ma bataille c’est de faire des films pour la salle”, conclut le cinéaste. C’est peut-être l’un des sens caché du titre de son dernier film, Venez voir. Une injonction amoureuse adressée à ses spectateur·trices pour préserver cette force aussi enchanteresse que réparatrice qu’est la salle de cinéma.
Venez voir de Jonás Trueba, avec Istaso Arana, Francesco Carril, Irene Escolar, et Vito Sanz (sortie le 4 janvier 2023)
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