Johnny Guitare. Il est juste que ressorte, après Casablanca, l’autre grand film de retrouvailles du cinéma américain. C’est encore une histoire de seconde chance. Mais si le couple de Curtiz, brisé par l’Histoire, apprend à se réaffirmer dans la séparation même, à passer du divorce subi au renoncement choisi, faisant du sacrifice une victoire, les […]
Johnny Guitare. Il est juste que ressorte, après Casablanca, l’autre grand film de retrouvailles du cinéma américain. C’est encore une histoire de seconde chance. Mais si le couple de Curtiz, brisé par l’Histoire, apprend à se réaffirmer dans la séparation même, à passer du divorce subi au renoncement choisi, faisant du sacrifice une victoire, les vieux amants du film de Ray ne sont en proie qu’à leurs propres démons masochistes. Saisis tour à tour de fièvre et de langueur, prompts aux épanchements lyriques, ils ne connaîtront le repos du happy-end qu’après avoir embrasé de leur feu intérieur le monde tout entier, qui semble n’exister que par et pour le mal qui les ronge, la douleur de vivre.
Tout est merveilleusement faux dans cette romance de toiles peintes entre un homme au nom de musique et une femme au nom de ville. Truffaut s’émerveillait d’une préciosité qu’il trouvait mieux servie encore dans le doublage où l’on vouvoie « Monsieur Guitare ». Mais le faux est le coeur du film : si dans Casablanca, il fallait se réapproprier les répliques de l’amour, leur redonner leur poids de vérité, chez Ray on n’aspire qu’à dicter des serments de fidélité mensongers pour mieux raviver les plaies.
Johnny Guitare, à peine un western, n’a guère de parenté qu’avec deux autres soleils noirs : Duel au soleil, et surtout L’Ange des maudits de Fritz Lang. Si celui-ci sert encore l’orthodoxie d’un genre aimé en le soumettant à ses obsessions (la faute partagée, l’impasse d’une vengeance fallacieuse et néfaste), il annonce Ray par l’artificialité radicale de son décor, l’usure existentielle de ses personnages, le recours à la chanson comme geste. Surtout, les deux films gravitent autour d’une femme, que la mise en scène exalte alors même que le scénario déplore son inadéquation à un modèle passé (l’épouse assassinée chez Lang, la Vienna d’antan chez Ray). Car Hayden l’albatros a beau incarner le personnage-titre, c’est bien Vienna qui campe au centre du film comme de son saloon, et qui se mesure à son double maléfique (McCambridge). Crawford apporte avec elle toute la mémoire du mélodrame, du woman’s film comme on disait. Et Ray est peut-être, après tout, un auteur de mélos, si c’est la musique qu’on entend dans ce terme. Et mis à part ses films noirs, miracles d’équilibre conquis, tous ses chefs-d’oeuvre sont des grands films malades, qui confondent couleur et douleur. Ainsi Johnny Guitare, dont les plans se succèdent, abrupts, comme des éclats de vitrail.
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