Après deux films de prise de contact avec le système hollywoodien, John Woo rafle sa mise américaine au troisième essai. Volte/Face, avec un Nicolas Cage et un John Travolta idéaux, est une synthèse parfaite entre les ambitions formelles d’un styliste et les exigences économiques d’un grand studio, un objet de cinéma devenu trop rare aujourd’hui : le blockbuster dirigé par un authentique cinéaste, propre à réconcilier ciné-chiffres et cinéphiles, grand spectacle et obsessions intimes.
Avec Volte/Face, John Woo va combler ses aficionados, mais sans doute aussi toucher le grand public et dépasser largement un cercle d’initiés déjà élargi, il est vrai, depuis Hard target et Broken arrow. Il n’était que temps, Volte/Face étant quand même le vingt-cinquième film d’un cinéaste aux vingt-cinq ans de carrière.
Né à Canton, John Woo grandit à Hong-Kong, ville ouverte sur le cinéma mondial. Grâce à sa mère, le petit Woo se familiarise très vite avec les classiques chinois et américains du cinéma commercial des années 50. Plus tard, il découvre le cinéma d’auteur européen et s’entiche particulièrement des films de Jean-Pierre Melville, François Truffaut et Jacques Demy, qui resteront des influences marquantes pour ce jeune homme très romantique.
Devenu cinéaste, John Woo sera une des chevilles ouvrières stakhanovistes du système industriel hong-kongais. De 73 à 85, il usinera ainsi films de sabre, comédies et films de kung-fu pour les plus gros studios de Hong-Kong, des Shaw Brothers à la Golden Harvest. Cette partie de sa filmographie demeure très méconnue en France. Lassé d’être un réalisateur exécutant, rêvant de polars existentiels à la Melville, John Woo change d’employeur en 86 et signe Le Syndicat du crime, son premier film réellement personnel qui, par chance, devient aussi l’un des plus gros succès commerciaux du cinéma local. Ainsi s’ouvre la seconde partie de sa carrière, celle de The Killer ou Une Balle dans la tête, films qui le feront connaître en France et aux Etats-Unis.
Deux aspects dominent le cinéma de ce styliste flamboyant : d’un côté, des séquences d’action étourdissantes de rapidité et de mouvement, chorégraphiées comme des ballets sauvages, confinant à l’abstraction à force de démesure stylisée ; de l’autre, des histoires flirtant avec le mélodrame, habitées par des personnages mélancoliques s’accrochant à des notions vacillantes d’éthique et d’honneur : ses meilleurs films ressemblent ainsi à un croisement curieux entre Demy, Melville et Peckinpah ils établissent surtout la Woo’s touch. En 93, John Woo émigre à Hollywood et son adaptation à un nouvel écosystème se révèle progressive. D’abord, ça se passe moyennement et Hard target est autant un film de Van Damme que de Woo. Dans Broken arrow, Woo confronte son style aux grands espaces américains et réussit un curieux western nucléaire. Volte/Face est le film de la maturité américaine, atteignant une sorte d’équilibre parfait entre le romantisme de Woo et son goût pour l’abstraction géométrique, tout en conciliant les impératifs spectaculaires d’un gros budget.
On rencontre le cinéaste affable et souriant dans un grand hôtel londonien. Sur la table sont posés un cendrier et un paquet de cigarettes à son intention. Juste avant le début de l’entretien, John Woo me demande si je fume. Je réponds négativement mais précise que les fumeurs ne me gênent pas. Néanmoins, il déplace cigarettes et cendrier dans une autre pièce. Par ce geste spontané, élégant et chevaleresque, Woo se montre digne de ses meilleurs personnages.
Je suis tombé amoureux du cinéma vers l’âge de 11 ans. C’est ma mère qui m’emmenait au cinéma, on voyait essentiellement le cinéma chinois commercial de l’époque, des films de sabre ou d’opéra, ainsi que les grands classiques du cinéma américain. Plus tard, alors que j’étais lycéen, je me suis entiché de cinéma européen. J’ai découvert la Nouvelle Vague française, mais également le cinéma japonais d’auteur avec des cinéastes tels que Kurosawa, tout en continuant bien sûr à voir beaucoup de films américains. De ce point de vue, Hong-Kong était un endroit idéal : on pouvait y voir toutes sortes de films, tous les cinémas du monde. C’est ainsi que j’ai découvert et aimé les films de Jean-Pierre Melville. Son cinéma était extrêmement populaire à Hong-Kong, notamment grâce à Alain Delon, mais aussi grâce à son élégance. Moi, j’étais fasciné par le travail de Melville, par son style elliptique et laconique. Une autre de nos idoles était Truffaut, mais Demy était peut-être mon idole absolue. C’est avec Les Parapluies de Cherbourg et Les Demoiselles de Rochefort que j’ai appris le romantisme au cinéma. J’ai vraiment été marqué par la Nouvelle Vague française. A côté de ça, je découvrais également les grands auteurs européens, Bergman, Fellini, et les Américains de la nouvelle génération comme Kubrick.
Qu’est-ce qui vous plaisait particulièrement dans les films de Melville, Truffaut ou Demy ?
Le style. Tous ces films avaient une forme particulière, une dimension artistique, ce n’était pas de simples produits de consommation interchangeables. Les films européens avaient une dimension spirituelle plus forte. Dans les films français, j’aimais aussi l’aspect romantique. En fait, je n’étais pas spécialement fan de films d’action (sourire)… Je préférais les univers romanesques, les sentiments et l’émotion. Bon, les films de Melville étaient si vous voulez des films d’action, mais des films d’action très intériorisés, comportant finalement peu de bagarres et de poursuites. Il est vrai que j’aimais aussi beaucoup des réalisateurs comme Sam Peckinpah ou Martin Scorsese.
Comment êtes-vous passé de simple spectateur à cinéaste ? Qu’est-ce qui a déclenché votre mise en action ?
Après le lycée, avec quelques amis cinéphiles, nous avons commencé à faire des films expérimentaux, entre nous. Des courts métrages en 16 mm ou en super 8… Nous étions tout à la fois producteurs, réalisateurs, régisseurs, acteurs, scénaristes (rires)… Moi, je rêvais de travailler à tout prix dans le milieu du cinéma, je me disais que je pourrais devenir monteur, régisseur… tout, sauf réalisateur. Ça, je n’osais en rêver. Il faut savoir qu’à l’époque, à Hong-Kong, il était très difficile de devenir cinéaste c’était un métier quasiment inaccessible pour nous, gens de la rue. Jamais je n’aurais pu imaginer avoir un jour ma chance. Il n’y avait pas d’école de cinéma. La seule façon de l’apprendre était de voir des films. Il y avait aussi une autre forme d’apprentissage : certains de mes amis plus au courant que moi traduisaient les articles théoriques des revues européennes, notamment françaises. Ces articles ont largement contribué à nous faire connaître la Nouvelle Vague ou les grands maîtres américains tels qu’Hitchcock ou Kubrick. Finalement, nous avons appris le cinéma par deux moyens : la vision des films, le plus important, et la critique analytique qui nous a aidés à mieux voir.
Etiez-vous influencé par d’autres formes d’art que le cinéma ?
Oh oui ! La peinture, notamment française (rires)… Vous voyez, j’ai tout appris des Français ! Le cinéma, la peinture, la philosophie, l’existentialisme… En peinture, j’étais essentiellement marqué par le mouvement impressionniste. Je suis un fanatique absolu de Van Gogh. Mais la forme qui m’a le plus marqué est le film musical. Dans la comédie musicale, tout est tellement beau, plus beau que la réalité ; un univers de rêve qui m’a beaucoup fait rêver. C’est pour ça que je suis fou de Jacques Demy, de Fred Astaire et Gene Kelly, de West Side story et des musicals de Bob Fosse… C’est aussi pour cela que mes films d’action ont un rapport avec la comédie musicale.
Après vos films expérimentaux, comment avez-vous finalement réussi à travailler dans les studios de Hong-Kong ?
Vers 1969, j’ai eu la chance de décrocher un petit job au studio Cathay. J’étais assistant-réalisateur et script. Ensuite, j’ai changé et travaillé chez les Shaw Brothers sous la direction de Chang Cheh. Chang Cheh était un des pionniers des cinéastes hong-kongais, spécialisé dans les films de sabre en costumes, avec personnages et codes chevaleresques : ça me plaisait beaucoup. J’aimais beaucoup Chang Cheh et j’ai été son assistant pendant deux ans. De fil en aiguille, j’ai eu la chance en 73 de diriger mon premier film. J’étais financé par un ami qui avait gagné beaucoup d’argent à la bourse. Il avait décidé d’en investir une petite partie pour produire un film de kung-fu. J’avais 26 ans quand j’ai réalisé The Young dragons.
Aviez-vous confiance en vous ? Aviez-vous des idées précises sur la mise en scène, sur ce que vous alliez faire ?
J’avais confiance en moi. J’avais des idées sur le cadrage, les mouvements de caméra et le montage. J’ai beaucoup appris en regardant un grand nombre de films, puis en faisant mes films expérimentaux. Dès ce premier film de kung-fu, j’ai utilisé une façon romantique de filmer l’histoire. Dedans, il y a beaucoup de sentiments, d’émotions et pour le montage, je me suis pas mal inspiré des films de Truffaut. Ce film n’a pas eu beaucoup de succès, notamment à cause de sa violence (sourire)… Nous avons donc vendu les droits de The Young dragons à Golden Harvest. Quand le patron de Golden Harvest a vu le film, il l’a adoré. Il a décidé que j’étais un talent majeur. Et c’est ainsi que j’ai décroché un contrat de trois ans avec Golden Harvest. C’était un gros événement pour moi. Je dirigeais mon premier film et hop ! j’avais un contrat avec la plus importante compagnie de Hong-Kong. Finalement, ils m’ont gardé dix ans.
Comment vous sentiez-vous au sein du système industriel hong-kongais ? Etiez-vous libre de faire vos films comme vous l’entendiez ?
Il y a quelques années, la situation était difficile. Malgré les succès de Bruce Lee, ce n’était pas simple d’être réalisateur à Hong-Kong. Les conditions de travail étaient très archaïques. Il n’y avait pas de chef-décorateur, pas de chef-opérateur, il n’y avait qu’un seul cameraman et un seul électricien par équipe, etc.
Mais n’étiez-vous pas encore plus libres dans de telles conditions de série B ?
Pas du tout. Nous devions tout faire nous-mêmes, être au four et au moulin. Je me battais pour convaincre les studios de s’inspirer des méthodes européennes et américaines, mais en vain. Rendez-vous compte : nous n’enregistrions jamais en son direct, tout était doublé et postsynchronisé en studio, un peu comme dans certains films italiens. Mais dans les années 80, la situation a peu à peu évolué et aujourd’hui, les conditions de travail sont à peu près les mêmes qu’ailleurs. L’autre problème avec les studios de Hong-Kong, c’est qu’ils ne pensent qu’à suivre les modes. Si une comédie avait du succès, ils ne produisaient ensuite que des comédies ; si un kung-fu cartonnait, même chose. C’était donc très dur pour moi de faire les films dont j’avais vraiment envie, de filmer les choses et les sentiments qui m’importaient intimement. Pendant longtemps, j’ai eu envie de faire un polar à la Melville, mais personne ne me faisait confiance sur ce type de projet. Le studio se fichait de Melville, il voulait que je continue à faire des comédies à succès. Voilà pourquoi au bout de dix années, j’ai quitté Golden Harvest pour Cinema City, où j’ai pu enfin réaliser des films de gangsters.
En France, on connaît essentiellement vos polars et vos films noirs, mais pas votre période précédente, celle des films de sabre et des comédies. Comment jugez-vous tous ces films de commande ?
Certes, c’était des commandes, mais certains d’entre eux sont plutôt réussis. Aucun n’est un chef-d’oeuvre, aucun n’est parfait, mais il y en a dont je suis fier, notamment parmi les comédies. Mais il est normal que le public connaisse mieux Le Syndicat du crime ou The Killer.
Avez-vous pris autant de plaisir à faire des comédies que des films comme The Killer ?
Non. Et je ne pense pas que je referai de comédie ou de film de kung-fu. J’ai fait ces films par obligation. Mais le genre et le style que je portais en moi depuis le début se sont accomplis dans Le Syndicat du crime ou The Killer. Ces films-là me ressemblent plus. Dans mon prochain projet, il y a des éléments de comédie, mais ça n’a rien à voir avec les films que je faisais il y a vingt ans ces comédies-là étaient trop loufoques, trop cartoonesques, pas assez profondes pour moi. Mes ambitions futures seraient plutôt de réussir quelque chose dans la veine de Jules et Jim, oudans un autre genre, un grand spectacle à la Lawrence d’Arabie. J’aimerais aussi réussir une véritable comédie musicale. Dans les dix prochaines années, je pense que mon travail sera plus mûr, plus intériorisé. Il n’y a pas que l’action dans la vie !
Souvent, vos films traitent du thème de la double identité, de la confrontation et du mélange entre le bien et le mal. Pourquoi cette obsession que l’on retrouve aussi bien dans The Killer, Broken arrow ou Volte/Face ?
J’ai toujours pensé que les gens tout bons ou les gens tout méchants n’existaient pas. Personne n’est parfait et chaque individu possède en lui toutes les nuances entre le bon et le mauvais. Mes personnages sont souvent entre les deux, entre le bien et le mal. De plus, je ne porte pas de jugement moral : je crois que toute situation peut servir. On peut apprendre à partir du bien comme on peut aussi apprendre à partir du mal. Le bien et le mal, c’est un miroir pour chacun d’entre nous : on peut se voir dans le bien mais aussi dans le mal. Les personnages joués par Bogart, ceux de Melville ou de Peckinpah sont mon type de personnages : ils sont entre le bien et le mal. Parfois, quand vous vous regardez dans un miroir, vous entrevoyez un autre vous-même. Ce n’est pas toujours évident de se cerner soi-même d’un seul bloc.
Quand vous filmez des gangsters ou des mafieux, est-ce lié à des souvenirs personnels ou bien les traitez-vous uniquement comme un code cinématographique ?
Première chose, quand je crée une histoire, j’ai besoin d’une base puissante, dramatique. Le milieu des gangsters recèle naturellement des qualités dramaturgiques, romantiques, de l’intensité émotionnelle. Deuxièmement, j’ai été marqué en tant que spectateur par les films chinois de kung-fu, de sabre et de chevalerie. Ce type d’univers est toujours riche en histoires prenantes, en action et en mouvement, en héros charismatiques… Le milieu des gangsters est une version moderne du milieu des chevaliers, comme les films noirs sont une version contemporaine des films de sabre. J’ai aussi une autre raison de filmer des gangsters, plus oblique et plus politique : je déteste l’idée de dictature. Les gangsters de mes films ne ressemblent pas aux vrais gangsters les vrais gangsters ne s’habillent pas comme ça, ne bougent pas comme ça. Mes gangsters s’habillent tous pareils, c’est comme s’ils portaient un uniforme : ils sont métaphoriques d’une armée, d’une milice au service d’une dictature. Ils se comportent souvent comme une bande armée au pouvoir : ils sont puissamment armés, diaboliques, ils veulent toujours conquérir quelque chose, ils méprisent la vie humaine, etc. Mes héros combattent ce genre de personnages, et c’est comme s’ils combattaient une forme de totalitarisme. J’essaie d’exprimer cette idée politique à travers les guerres de gang.
Vous êtes célèbre pour votre façon de chorégraphier la violence, pour vos scènes de fusillades. Comment analysez-vous votre rapport à la violence ?
Il ne faut pas prendre la violence de mes films au premier degré. Il est évident que je n’ai pas l’intention de rendre la société plus violente. Dans mes films, la violence fait simplement partie de la dramaturgie. Parfois, elle sert à m’exprimer. Par exemple, mes héros peuvent être violents, mais ils se battent toujours pour une éthique, pour un idéal de justice. Par ailleurs, j’aime diriger une fusillade, une scène d’action, parce que pour moi, c’est comme diriger un ballet, c’est une chorégraphie. Et puis, une bonne séquence d’action, c’est beaucoup de plaisir et d’énergie, à la fois pour le metteur en scène et pour le spectateur.
Pourquoi avez-vous si souvent recours au ralenti ?
Le ralenti est un procédé très graphique. Parfois, un film est pensé comme une peinture, parfois aussi comme un morceau de musique. Et justement, le ralenti est aussi quelque chose de très musical. C’est également un moyen de capter la beauté : beauté d’un corps en action, d’un objet en train de chuter… Quand je désire qu’un plan ait plus d’impact, qu’il se remarque plus intensément, j’utilise le ralenti. Je m’en sers aussi pour mettre l’accent sur le sentiment d’un personnage. Il y a cent raisons d’utiliser le ralenti, c’est un procédé très efficace sur le plan dramaturgique. Bien sûr, j’ai été très influencé par l’usage qu’en ont fait Scorsese ou Peckinpah. Le ralenti, c’est aussi une question de tempo, c’est un outil pour rythmer un film comme un morceau de musique. Souvent, j’écoute intensément de la musique avant de tourner une séquence d’action ou une scène au ralenti. La musique, l’aspect musical du cinéma sont fondamentaux pour moi.
Depuis quatre ans et le film Hard target, vous avez déménagé de Hong-Kong à Hollywood. Pour quelles raisons ?
D’abord, The Killer a été très remarqué en Occident, par les critiques et par des cinéastes tels que Scorsese, Oliver Stone ou Tarantino. C’était mon premier film à connaître un tel retentissement en Europe et aux Etats-Unis. Ça a commencé à attirer l’attention des grands studios hollywoodiens. Je me souviens, quand je tournais Once a thief à Paris en 90, Stone est venu spécialement me voir pour essayer de me produire. Au début, je ne prêtais pas trop attention à tout ce buzz, j’essayais de me concentrer sur mon travail. Mais les studios continuaient de me solliciter régulièrement. Au bout d’un moment, je me suis dit que ça valait peut-être le coup d’essayer, d’autant plus que j’ai toujours recherché des expériences nouvelles. En outre, je travaillais à Hong-Kong depuis vingt-cinq ans, j’avais connu quatre studios différents et je commençais à tourner en rond. A Hong-Kong, les sujets sont finalement limités : sabre, kung-fu, comédie… On ne sort pratiquement pas de ces trois genres dominants. Il n’y a pas assez de producteurs susceptibles de prendre des risques et de financer des films d’auteur. Et puis on n’avait pas le droit de traiter des sujets politiques, on ne pouvait pas évoquer la Chine populaire. Aller à Hollywood me permettait de me renouveler, d’essayer des choses différentes, de travailler avec des gens différents.
Après quatre ans, comment jugez-vous les méthodes américaines et hong-kongaises ?
Du point de vue de la production, de la fabrication des films, il n’y a pas tellement de différences. Les outils de travail, les méthodes de tournage sont les mêmes du point de vue technique. Mais à Hong-Kong, dans le cadre limité que j’évoquais plus haut, on possède plus de liberté. Une fois qu’on sait qu’on fait un film de kung-fu ou une comédie, on a ensuite toute latitude pour procéder comme on veut sur le tournage et le montage. On contrôle complètement notre produit. Le gros avantage d’Hollywood, c’est qu’ils sont très ouverts. Peu importe qui vous êtes, peu importe votre nationalité, du moment que vous avez du talent, que vous êtes pro, vous êtes respecté. Les équipes qui travaillent dans le cinéma sont très professionnelles, très dévouées, sans doute plus qu’à Hong-Kong. Le gros inconvénient d’Hollywood, c’est les enjeux de pouvoir, les manoeuvres en coulisses, les stratégies d’intérêt, les conflits d’ego : tout ça, je déteste. Les gens ressentent une perpétuelle insécurité par rapport à leur job, leur statut et ils poussent toujours pour être »meilleurs » que le voisin. Tout cela est stressant. Mais si je fais un bilan, je suis maintenant plus à l’aise à Hollywood. J’ai appris à connaître le système et je sais comment le contourner (sourire)…
Comment choisissez-vous vos scénarios à Hollywood ?
Parfois je choisis, parfois on me propose. Au début, les studios me considéraient uniquement comme un cinéaste d’action et on ne me donnait que des scénarios d’action, des Hard target à la douzaine. Au début, je pensais pouvoir m’arranger avec ce matériau d’action, par exemple en injectant une dose de romantisme, en rendant les personnages plus profonds. Mais c’était quasiment impossible. A Hong-Kong, je travaillais mes propres scripts, je pouvais en faire ce que je voulais. Quand un script n’est pas de moi, j’aime bien l’idée de filmer contre. Mais avec un projet aussi lourd et rigide que Hard target, c’était impossible.
Le scénario de Volte/Face semble taillé sur mesure pour vous et le film est bien équilibré entre action et psychologie, abstraction et narration.
Il est très difficile de trouver des scripts vraiment bons. Un bon script selon moi doit contenir de l’action, de l’émotion, si possible un propos sous-jacent, et il ne doit pas être ennuyeux. C’est peu fréquent d’en trouver qui réunissent toutes ces qualités. Quand Michael Douglas m’a proposé le scénario de Volte/Face, à l’origine c’était un projet de pure science-fiction. L’action était censée se passer en 2200, le scénario prévoyait une tonne d’effets spéciaux. Mais le concept de base d’échange d’identité était déjà là. J’ai tout de suite suggéré à Michael Douglas et au studio de retirer tous les effets spéciaux, l’aspect science-fiction, et de ramener le film à notre époque pour le rendre plus réaliste, plus humain. Parce que c’est ce genre de film que je désire faire et que c’est sur ce terrain que je suis bon. Ils ont tout de suite approuvé ma suggestion. Au final, c’est un film bien équilibré et c’est ce que je voulais.
Godard disait un jour qu’il n’y a pas de personnages au cinéma, seulement des figures. Qu’en pensez-vous ?
(Rires)… Mes personnages ne sont pas de pures figures géométriques, ils ont une âme, des sentiments, un passé… Je pense que les personnages sont l’âme d’un film. Pour moi, les acteurs sont une priorité dans un film, je passe beaucoup de temps avec eux à travailler leur expression, leurs mouvements, leur jeu.
Volte/Face est très ironique par rapport à l’American way of life. Après trois films, vous sentez-vous plus à l’aise pour porter un regard critique sur l’Amérique ?
Après avoir vécu déjà cinq ans aux Etats-Unis, j’ai beaucoup appris sur la culture locale, la mentalité, les modes de pensée dominants… Et c’est vrai que Volte/Face est très ironique sur la société américaine. Le thème central du film consiste à brouiller les frontières entre le bien et le mal. Quand le faux Sean Archer rentre dans sa famille, il arrive à mieux aimer sa femme, il est plus complice avec sa fille que le vrai Archer : cela suggère que le méchant peut parfois être meilleur que le bon.
Sur le plan chorégraphique, êtes-vous aussi à l’aise avec les acteurs américains qu’avec les Chinois ? Les Américains ne sont-ils pas plus lourds ?
Non, je n’ai pas eu ce genre de problème (sourire)… John Travolta et Nick Cage sont de grands professionnels, ils sont parfaitement capables de jouer des scènes d’action et de mouvement. De plus, les scènes d’action ne reposent pas que sur les acteurs ; je suis très à l’aise avec les techniques de caméra et de montage pour régler et rythmer une scène d’action. Et puis Chow Yum Fat (acteur chinois fétiche de Woo) n’est pas non plus l’archétype du combattant de kung-fu, il est aussi un peu lourd physiquement. Mais c’est un bon acteur. Du moment qu’un acteur est bon, ça me va. Après, je m’arrange avec le filmage et le montage.
La fin de Volte/Face reconstitue la famille américaine idéale. Est-ce votre fin ou celle du studio ?
La fin du film est celle du scénario d’origine. Sean Archer ramène chez lui le fils de son ennemi. A un moment, les responsables du studio étaient inquiets, ils craignaient que le public américain accepte mal cette inclusion. Mais je me suis battu pour qu’on garde cette fin, pour que le fils de Troy intègre la famille d’Archer, sans quoi tout le sens du film sur l’ambiguïté entre bien et mal ne tenait pas. Il y a eu des projections-tests avec la fin choisie par le studio et le public se demandait ce qu’il advenait du petit garçon. Ça a calmé les responsables du studio, ils ont réintégré ma fin. Ça prouve aussi que la part d’humanité de chacun est un élément universel. J’avais aussi écrit une autre fin possible : Sean Archer rentrait chez lui, se regardait dans la glace et le public ne savait plus trop si c’était le vrai Archer ou le faux. Mais cette fin produisait un effet plus artificiel, elle rendait l’histoire moins crédible. J’ai donc préféré garder la fin actuelle. C’est plutôt un happy-end. J’aime bien les fins mélancoliques mais de temps en temps, j’aime bien aussi rendre le public heureux.
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