John Waters, cinéaste
D’où avez-vous hérité votre goût pour la provocation ? En regardant des films ?
Au cinéma, une de mes toutes premières héroïnes a été la marâtre de Cendrillon dans le film de Walt Disney. Elle était si méchante : j’en étais fou, j’aurais voulu qu’elle épouse le prince… Mon enfance a été bercée par les méchants de Walt Disney. Ils étaient si réussis. Au-dessus de mon lit, il y a une image de la méchante reine de Blanche-Neige et une photo dédicacée de Margaret Hamilton, une autre de mes grandes héroïnes, qui jouait la sorcière du Magicien d’Oz. Je l’ai rencontrée avant sa mort et ce qui m’impressionna, c’est que sur ses autographes, elle signait son nom suivi des lettres « W W W » : Wicked Witch of the West. C’était d’un chic ! Dans le domaine de l’art plastique, c’est probablement Jackson Pollock qui m’a le plus inspiré lorsque j’ai lu un article sur lui dans le magazine Life. Mes parents le trouvaient ridicule et avaient décrété que ce qu’il faisait n’était pas de l’art. Pour les livres, c’est Peyton Place qui m’a le plus marqué. J’ai découvert ce bouquin dans un tiroir où mon père l’avait caché. Quand ce roman est sorti dans les années 50, on le trouvait choquant. J’étais tellement obsédé par l’auteur, Grace Metalious, que j’ai fait un collage photographique sur sa vie. Je suis allé sur sa tombe cette année. Mes obsessions ne me quittent jamais.
Adolescent, quel était votre rapport au cinéma ?
J’étais obnubilé par le cinéma. Ce que je lisais sur les films underground me fascinait : on disait qu’ils étaient faits sans argent, par des bandes de copains… Je lisais notamment ce qu’écrivait Jonas Mekas sur le sujet, dans le Village voice et Film culture, qui était ma bible. Avec ses critiques, Jonas Mekas m’a sauvé la vie. Souvent, je mentais à mes parents et je filais en bus à New York pour aller voir les premiers films de Kenneth Anger, des frères Kuchar ou de Warhol, comme le fameux Couch. J’aurais voulu être beatnik, mais comment faire dans ma banlieue de Baltimore ? Je voyais aussi des films étrangers, comme Monika d’Ingmar Bergman, qui était considéré comme un film cochon. Je ne manquais aucun Bergman. J’allais aussi dans les drive-in où l’on passait les séries Z les plus minables : des films gore, des films nudistes… Mes tous premiers films, dont vous n’avez jamais entendu parler, étaient influencés par le théâtre de l’absurde. J’adorais ça. J’allais tout le temps au théâtre, voir des pièces de Ionesco ou de Michael McClure. Je lisais aussi les livres édités par Grove Press, comme ceux de Genet, que j’ai découvert à 15 ans. Notre-Dame des Fleurs m’a sauvé la vie ! En lisant ça, je me suis dit « Dieu merci, on peut être différent ! » J’ai été perverti par les bonnes choses.
Vos films fétiches ?
J’aime d’obscurs films français comme Baxter de Jérôme Boivin, un film sur un chien, ou Thérèse d’Alain Cavalier. J’aime beaucoup le cinéma français. La Maman et la Putain est une des passions de ma jeunesse. Il a eu une énorme influence sur moi… Il y a aussi Pedro Almodóvar, qui est comme un frère pour moi. J’adore ses films, ils ont quelque chose de très joyeux.
Vous avez dit avoir arrêté d’acheter des disques quand les Beatles sont arrivés.
C’est vrai, j’ai détesté toute la musique pop entre les Beatles et le punk. J’ai grandi en écoutant exclusivement des radios blacks et des chanteurs noirs. J’écoutais du rhythm’n’blues exactement pour la même raison que les enfants blancs d’aujourd’hui écoutent du rap : parce que c’est politiquement incorrect, que ça rend fous les parents de gauche. Les parents aimaient les Beatles, le rock’n’roll les énervait. Little Richard a provoqué un choc énorme quand il est apparu dans les années 50. Malheureusement, plus tard, je l’ai interviewé pour Playboy : ne rencontrez jamais une de vos idoles. Etant très jeune, j’ai aussi assisté à un concert de James Brown où j’étais le seul Blanc. On pouvait se faire tabasser pour ça, il y avait des émeutes, mais ça valait le coup. J’ai chez moi un plein tiroir de 45t de rhythm’n’blues que j’ai achetés ou volés. On retrouve beaucoup de ces chansons dans mes films.
Vous êtes collectionneur d’art. Cindy Sherman figure d’ailleurs dans Pecker. Vous aimez son travail ?
J’ai énormément apprécié son film Office killer, qui a reçu des critiques cruelles aux Etats-Unis. Je ne comprends pas pourquoi : pour moi, ça ressemble assez à son travail photographique. Drôle et intelligent. Ce qui me plaît le plus, ce sont les oeuvres d’art dont les gens disent (voix guindée) : « Oh, mes enfants pourraient faire pareil ! » Moi, j’aime des choses qui m’irritent, du moment qu’elles ont de l’esprit : dans ma collection, j’ai des oeuvres des Suisses Fischli-Weiss, du photographe Jack Pierson, ou encore de Mike Kelley.
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