Qu’est devenu John McTiernan, le maître des films d’action avec Bruce Willis ou Arnold Schwarzenegger ? Un homme brisé par des échecs successifs et des problèmes judiciaires. Pendant ce temps, son ancien rival, James Cameron, triomphe avec Avatar. Histoire d’une dégringolade.
Un grand cinéaste américain reçoit les journalistes à Paris. Son nom, John McTiernan, n’est plus si connu, et il faut évoquer Piège de cristal ou A la poursuite d’Octobre rouge, quelques grands succès vieux de déjà deux décennies, pour que les néophytes situent un peu l’homme, dont l’importance artistique fut pourtant considérable.
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Ses films sont plus connus que lui. Et lui semble à jamais moins connu que celui qui fut longtemps son grand rival, James Cameron.
A Paris, John McTiernan ne présente pas un nouveau film. Il est de passage, en route pour le Festival du film fantastique de Gérardmer dont il a accepté d’être le président du jury.
Depuis huit ans, il n’a pas tourné pour Hollywood et ses trois derniers films (Le Treizième Guerrier, Rollerball, Basic) ont dessiné une trajectoire déclinante, en tout cas aux yeux de l’industrie.
Son nom a été mêlé à une affaire plutôt louche. On lui a reproché d’avoir fait appel aux services de la star des détectives privés d’Hollywood, Anthony Pellicano, pour placer sur écoute l’un de ses producteurs.
“Mc T” a ensuite été accusé de faux témoignage, un délit grave selon la loi américaine. Condamné à quatre mois de prison et à une importante amende, il n’a toujours pas effectué sa peine.
L’homme semble brisé et il n’a pas encore 60 ans. Sa fatigue mentale et physique saute aux yeux. Il se dit aujourd’hui “proche de la banqueroute”.
Lorsqu’on lui demande si malgré son inactivité, il se sent encore cinéaste, il répond avec un sourire aussi triste qu’ironique : “Je fais ce que je peux.”
Il y a quelque chose de cruel à voir dans le même temps la canonisation de James Cameron, réussissant pour la seconde fois avec Avatar un succès si faramineux qu’il le place dans une position de suprématie sans précédent sur l’industrie hollywoodienne, tandis que John McTiernan semble à ce point banni, désoeuvré, avec pour seule actualité une fonction honorifique dans un festival français.
Cameron et McTiernan furent pourtant les deux faces d’une même médaille. En 1985 et 1995, ils ont radicalement rénové le cinéma d’action hollywoodien et incarné un genre : le blockbuster à effets spéciaux.
Ils en furent les deux seuls artistes inspirés, et seront copiés par des dizaines d’artisans moins doués – Michael Bay, Roland Emmerich… –, aujourd’hui bien plus puissants que McTiernan. Cameron et McTiernan ont aussi en commun d’avoir façonné la plus grande star américaine de cette période : Arnold Schwarzenegger.
C’est en 1985, avec Terminator, son second film, que James Cameron devient un jeune capitaine d’industrie à Hollywood. Deux ans plus tard, avec Predator (également son second film) et toujours avec Arnold Schwarzenegger, John McTiernan s’impose à son tour comme un des plus vifs espoirs du film à gros muscles et grosses munitions.
Classique film de guerre avec GI dans la jungle qui se métamorphose au bout d’une heure en film de SF avec monstre extraterrestre, Predator étonne et éveille l’attention sur un cinéaste habile à déjouer les conventions.
Entre 1988 et 1990, tandis qu’Abyss de Cameron n’obtient qu’un demi-succès, Piège de cristal (qui propulse Bruce Willis au sommet du box-office) puis le film de sous-marin post-guerre froide A la poursuite d’Octobre rouge inscrivent McTiernan tout en haut de la liste des cinéastes bankable.
Le roi n’a pas le temps de profiter de son règne : 1993 est l’année de sa première déconvenue. Il pilote le nouveau Schwarzenegger movie : Last Action Hero, dispendieuse production affrétée pour devenir le plus gros succès de l’année.
Mais cette histoire tout en mises en abyme, où le héros d’un film d’action sort de l’écran et voit son héroïsme se heurter au monde réel (où les corps saignent après une cascade, où les méchants ne sont pas forcément punis…), laisse le public un peu coi.
“J’ai voulu faire un film d’action postmoderne, raconte le réalisateur. Tout comme en architecture, on construit des immeubles neufs pour qu’ils ressemblent à des constructions anciennes et valent comme commentaire sur ces immeubles anciens. J’ai conçu Last Action Hero comme un commentaire sur les films d’action. Mais ça a déclenché une vraie guerre politique dans le studio. On m’a poussé à rajouter toujours plus d’explosions, à ce que l’enfant aux côtés de Schwarzenegger se comporte à son tour comme un héros de film d’action…
A Hollywood, il est très important de trouver le bon interlocuteur parmi la production. Cela m’est arrivé avec Franck Mancuso. Nous avons fait ensemble A la poursuite d’Octobre rouge. Puis neuf ans plus tard L’Affaire Thomas Crown. Sur ce film, le studio voulait imposer une bimbo de 23 ans face à Pierce Brosnan. J’ai réussi à le convaincre d’engager une actrice de 40 ans, Renee Russo. Pour que le film soit un duel sexuel, il fallait que le personnage féminin ait une maturité émotionnelle égale à celle de Thomas Crown. Franck Mancuso m’a donné son accord contre l’avis du marketing. Le scénario prévoyait aussi pour la fin du film un festival de pyrotechnie du genre Mission: impossible, et j’ai pu imposer un finale un peu chorégraphique, avec seulement des figurants déguisés comme dans un tableau de Magritte. C’est une question d’entente artistique et de confiance. Mais sur Le Treizième guerrier ou Rollerball, j’ai vécu un cauchemar.”
De fait, les deux films ont été finalement remontés par les studios et ont connu des sorties chaotiques dans un climat de franche hostilité.
Etrangement, les années 2000 ont vu hiberner deux cinéastes clés de la décennie précédente mais pour des raisons inverses.
Mis en orbite par le triomphe de Titanic, Cameron a passé douze ans à peaufiner un come-back à la hauteur de son nouveau statut.
Mis KO par ses échecs successifs, John McTiernan a perdu la main à Hollywood, ne parvenant pas à se remettre en selle même avec un film à budget plus modeste (Basic, en 2003 avec John Travolta, récit à tiroirs jouant sur une multiplicité de points de vue avec pourtant une vraie habileté).
En 2006, le scandale des écoutes téléphoniques le met définitivement à terre.
Quand on évoque l’affaire, sa ligne de défense est politique. Il affirme avoir été victime de harcèlement judiciaire pour des raisons politiques.
“Avant cette affaire, je ne m’intéressais pas à la politique. J’étais comme Mercutio, le personnage de Roméo et Juliette qui dit : “Malédiction sur vos deux maisons.” Je ne me sentais appartenir ni au camp des Républicains, ni à celui des Démocrates. Je n’avais qu’une ambition : être un entertainer. Je me suis retrouvé mêlé contre mon gré à une affaire de propagande visant Hillary Clinton. Les Etats-Unis sont entre les mains de gens très puissants qui contrôlent le Sénat. J’ai été extrêmement heureux de l’élection de Barack Obama mais il est plus que probable qu’il ne soit pas réélu. On vit aujourd’hui dans un film de sciencefiction où des néofascistes ont pris le contrôle et détruisent de l’intérieur la démocratie. Rumsfeld, Cheney, tous les faucons de Bush, ils étaient déjà là sous Nixon et ont contribué à installer des dictatures en Amérique du Sud…”
Sa parole s’emballe jusqu’à la confusion, proche par endroits de la pensée conspirationniste. La lucidité politique semble cernée par l’ombre noire de la paranoïa.
En 2005, McTiernan devait tourner un film de fiction avec Hayden Christensen (le jeune héros de Star Wars) mais le tournage a été annulé. Il explique que, depuis ses démêlés judiciaires, les assurances ne veulent plus le couvrir car il est susceptible d’être à nouveau inquiété par la justice.
Il s’est donc consacré à la réalisation d’un documentaire sur les agissements de cette droite dure américaine dont il voit partout l’ombre s’étendre. “The Political Prosecutions of Karl Rove est un recueil de témoignages qui dévoilent la stratégie d’organisations proches de l’extrême droite, qui ciblent depuis plusieurs années des membres du Parti démocrate. Lorsque j’ai réalisé ce film, je n’étais qu’une voix solitaire. Aujourd’hui, j’ai collecté de plus en plus d’informations et je prépare un nouveau documentaire plus développé.”
Pendant ces heures difficiles, comment ont réagi l’entourage powerful et les amis de l’ancien wonder boy ? McTiernan n’a pas appelé à l’aide son ancien Playmobil Schwarzenegger, devenu entre-temps gouverneur républicain de Californie.
“Je ne voulais pas avoir l’air de lui demander de l’aide. Nous ne nous parlons plus depuis des années. J’ai simplement envoyé mes condoléances à Maria, sa femme, lorsque sa mère est morte.”
Et ses autres amis ? “Des amis ? Je ne suis pas sûr d’en avoir jamais eu. Je ne suis même pas sûr que cette question ait un sens. Personne ne peut affirmer avoir des amis à Hollywood.”
Il a d’ailleurs choisi de quitter Los Angeles et habite dans un petit ranch au nord du Wyoming.
“J’ai fait ce choix essentiellement pour que mes enfants échappent à l’environnement hollywoodien. En France, vous pouvez vous reposer sur une culture ancienne, qui empêche les gens de se perdre, de n’être fascinés que par leur nouvelle voiture… Votre héritage millénaire vous protège. Aux USA, on n’a pas cette histoire, on manque de perspective. Je voulais que mes enfants grandissent dans un lieu réel. Le nord du Wyoming a toujours été progressiste politiquement et socialement, voire agressivement égalitariste. C’est le premier endroit aux USA où les femmes ont obtenu le droit de vote. Beaucoup de réformes importantes en Amérique ont pris leurs racines dans le Wyoming, alors que tout le monde prend ces gens pour des péquenots bigots et racistes. C’est aussi une terre indienne, une terre de western. J’habite à côté de Little Big Horn, près de là où s’est passée l’histoire de Fort Apache (John Ford, 1948 – ndlr).”
Depuis sa retraite du Wyoming, McTiernan voit malgré tout des films. L’année passée, il s’est enthousiasmé pour Capitalism: A Love Story de Michael Moore.
“C’est son meilleur film. Lui aussi est un solitaire mais de plus en plus de gens tombent d’accord avec son analyse.”
Et surtout, il a adoré Avatar : “C’est un grand film sur le monde dans lequel nous vivons. Cameron montre que l’Amérique appartient aujourd’hui à des monstres, des gens effrayants qui détruisent tout avec leurs machines. Et ce qui est extraordinaire, c’est que James parvient à dire des choses aussi violentes dans une forme qui peut être entendue par la planète entière. C’est un film d’un grand courage, réalisé avec beaucoup de coeur et un très grand sens du cinéma.”
Lorsqu’il regarde Avatar, McTiernan le voit-il avec les yeux du cinéaste qu’il pourrait encore être ?
“J’ai été un cinéaste… Donc oui, c’est toujours avec ces yeux-là que je vois les films. Je suis impressionné par l’intelligence avec laquelle James utilise la 3D. Jusque-là, on ne s’en servait qu’à la façon du cinéma primitif, comme L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat des frères Lumière, jouant sur le sentiment que le train vous fonce dessus. Avatar utilise la 3D de façon adulte, poursuit-il, pas comme un effet donnant superficiellement l’impression de profondeur. La 3D devient quelque chose d’organique, la matière d’une expérience proprement cinématographique.”
En évoquant le dernier film de son frère d’armes, la parole de McTiernan s’emballe de façon lyrique et fiévreuse et s’interrompt par endroits, comme sous le coup d’une violente émotion. Il conclut : “James Cameron a toujours toute sa voix et il l’utilise aussi fort qu’il peut. Moi j’ai perdu la mienne.”
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