Noir désir. Malgré une fin lourdingue, J’irai au paradis car l’enfer est ici réinvestit brillamment la veine du film noir français, grâce notamment à une troupe d’acteurs mémorables. Il y a quelques années, évoquant son film La Vie des morts qu’il qualifiait de western, Arnaud Desplechin expliquait notamment que les voitures étaient comme des chevaux, […]
Noir désir. Malgré une fin lourdingue, J’irai au paradis car l’enfer est ici réinvestit brillamment la veine du film noir français, grâce notamment à une troupe d’acteurs mémorables.
Il y a quelques années, évoquant son film La Vie des morts qu’il qualifiait de western, Arnaud Desplechin expliquait notamment que les voitures étaient comme des chevaux, que leurs portières claquaient en un « flaf flaf » qui évoquait le bruit des selles. Dans le nouveau film de Xavier Durringer, il y a plein de portières de voiture qui claquent en mitraille, qui font « flaf flaf ». D’ailleurs, J’irai au paradis car l’enfer est ici (titre trop long et trop signifiant) est aussi un film à écouter : sa bande sonore est truffée de sons frappants (portières de bagnole donc, mais aussi portes de maison, coups de feu, culasses de revolver qu’on charge, etc.) qui rythment le film, lui impriment sa sécheresse, sa part abstraite.
J’irai au paradis… s’ordonne autour d’un conflit entre gangs rivaux. On ne saura jamais les tenants et aboutissants de cette guerre interne mais peu importe : elle sera essentiellement prétexte à nous faire partager la vie quotidienne d’un groupe de truands, à nous faire connaître de façon quasi anthropologique leurs règles et leurs codes, à nous faire ressentir de l’intérieur une existence où l’on vit sous une menace permanente, où l’on meurt jeune. Signe que Durringer a bien assimilé quelques règles de la narration moderne : le premier quart d’heure du film est quasiment muet. Le cinéaste ne fait aucun topo de présentation : on entre dans cette fiction comme par effraction, comme si on prenait une affaire déjà en cours, et c’est le déroulement naturel du film qui permettra d’identifier progressivement les protagonistes.
Parmi eux se détachera légèrement François, fils en révolte d’un important personnage du Milieu, obligé de se planquer le temps que le conflit se tasse. On va ensuite assister à une série de péripéties qui sont le quotidien banal des gens du Milieu : fusillades, règlements de comptes, nuits en boîte, alcool et putes, etc. Mais ce n’est pas tant raconter une histoire qui intéresse Durringer que conférer une véritable épaisseur à ses personnages (portés par une impressionnante troupe d’acteurs), filmer un objet archibalisé du cinéma (les gangsters) avec une approche neuve, retravailler le film noir. Or, s’il y a des vieux et des jeunes dans la bande de truands, si un conflit oedipien lie François à son père, il y a également du vieux et du jeune polar dans le film de Durringer disons, en gros, du Becker et du Scorsese. Les gros durs qui craquent et se mettent à pleurer, le caïd qui se fait dessouder et laisse derrière lui une épouse en larmes, les bandits en marcel qui mangent tranquillement leur assiette de spaghettis, tous ces détails très humains, très quotidiens, pourraient sortir de Touchez pas au grisbi. Mais quand le groupe décide de punir un traître, la scène du châtiment est d’une brutalité et d’une intensité que ne désavouerait pas l’auteur des Affranchis (de façon significative, les vieux, ceux qui appartiennent plus au monde de Becker, ne figurent pas dans cette terrible séquence scorsésienne). Si la cohabitation de deux générations de truands, de deux systèmes de représentation de leur monde au cinéma, est ici remarquable, c’est aussi le style de Durringer qui fait le prix de ce film. Le cinéaste a organisé un système épuré, quasi musical, où tout rebondit sans cesse vers l’avant : les personnages transitent sans arrêt d’un lieu à l’autre, les plans se succèdent dans un montage nerveux, le tout rythmé par les claquements de la bande-son. Les protagonistes semblent filer vers leur noir et inexorable destin, le film avance sèchement, dépouillé de discours ou de lourdeur explicative. Tout au moins jusque dans la dernière partie. Là, Durringer quitte sa position modeste d’observateur précis d’un microcosme (impeccable) pour celle plus prétentieuse de théologien du Bien et du Mal (et là, ça se gâte). François règle son oedipe en plaquant son père, quitte le Milieu et part rejoindre sa copine qui travaille dans une organisation humanitaire (histoire semble-t-il inspirée par celle de saint François d’Assise). Le jeune gangster retrouve sa part d’humanité en devenant infirmier bénévole. Tout cela est lourdement chrétien, pesamment didactique et pas franchement crédible. C’est dommage, mais cela ne gâche pas complètement une oeuvre qui renouvelle parfois brillamment un film noir français en jachère.