Les valses hésitations d’un jeune homme entre la religion et la boxe chez les gens du voyage. Un premier film lyrique et plein d’allant.
Alléluia : le cinéma français a trouvé son Nicholas Ray, ou son Elia Kazan. Bienvenue à Teddy Lussi-Modeste, ex de la Fémis qui a trouvé en sa consœur Rebecca Zlotowski (réalisatrice de Belle épine) la coscénariste idéale pour donner de la force romanesque et une ampleur quasi mythologique, apporter de la patience narrative et de la minutie à un scénario plutôt archi rebattu depuis que le cinéma est le cinéma.
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Un jeune homme, Jimmy, qui se cherche, qui ne sait que faire de la violence qui circule en lui, écartelé entre la manière la plus directe de l’exprimer, de l’expulser (la pratique assidue de la boxe thaï) et la volonté du clan familial (les gens du voyage) de la faire taire avec l’aide de la religion.
Il y a bien le sexe aussi, la passion sauvage, la fièvre dans le sang qu’il vit avec sa copine (Hafsia Herzi), mais elle ne s’accorde ni avec l’une (le sport), ni avec l’autre (la religion). Alors que faire ?
Doucement, de manière éclatée, sans rien mâcher par des dialogues explicatifs, Lussi-Modeste nous fait découvrir le monde mouvementé de Jimmy Rivière, son Johnny Guitar à lui, tiraillé entre les femmes de la famille (sa sœur, maquée avec Ezéchiel qui veut devenir pasteur ; sa mère, qui lui a toujours caché qui était son père et pourquoi il est parti), et la boss qui mène d’une main de fer le club de boxe du voisinage (Béatrice Dalle, belle âme androgyne d’un certain jeune cinéma français).
Mais les gens du voyage ne voyagent plus, plus rien n’est comme avant, le temps des mythes est terminé, et l’on ne peut ménager la chèvre et le chou. A force de refuser de choisir, d’être au four et au moulin, Jimmy va tout gâcher.
C’était écrit : Jimmy Rivière est un film de loser, il est déjà trop tard. Mais, et c’est là que Lussi-Modeste a en lui quelque chose de ces cinéastes des perdants américains des années 50, la lose sera magnifique.
Lussi-Modeste a d’abord trouvé en Guillaume Gouix l’acteur idéal : flamboyant, tête folle, grande gueule mais visage d’ange, entre James Dean et Belmondo.
Dès les premiers plans, mystérieux, le cinéaste érotise à plein et met en lumière son interprète principal et principalement son corps musclé, qui revient sans cesse au centre de l’écran, comme une étoile incandescente dans une nuit profonde.
Pourtant, Lussi-Modeste ne fait pas dans le pathos, ne fait rien pour nous faire pleurer sur le sort de cette communauté voyageuse qui a ses propres rites, ses propres lois. Il ne la noircit pas mais nous la rend plus proche, loin des clichés colportés par les Brice Hortefeux de tout poil qui fleurissent dans notre jolie République.Il en montre aussi les aspects les plus ambigus et les plus pesants, sans jamais charger ses personnages.
Même le personnage du pasteur, subtilement interprété par le grand Serge Riaboukine qui évite bien de placer la moindre ironie dans son jeu, gardera jusqu’à la fin son opacité, sa part d’humanité, jusque dans son erreur, ou l’expression désordonnée et subite de sa propre part animale.
Comme dans toute société, celui qui refuse de se plier à ses lois finit par s’en exclure ou par en être exclu, violemment exclu, parce qu’il la met en danger. C’est ce qui est arrivé au père de Jimmy, scène primitive et traumatique d’une rare justesse qui permettra soudain au fils et à sa mère d’apprendre à se dire la vérité. Et c’est ce qui menace Jimmy.
Enfin, au-delà de l’aventure individuelle, Lussi-Modeste, toujours aussi américain dans ses valeurs cinématographiques, et bien qu’imprégné de tout ce que le cinéma français d’aujourd’hui a de plus vivant (le versant Pialat-Kechiche, rappelé par la présence de la sublime Hafsia Herzi, qui nous paraît souvent pesant dans la plupart des films, est ici transcendé par le jeu des acteurs non professionnels qui entourent les stars du film), constate l’inexorable incapacité des personnalités les plus fortes à se fondre dans la banalité et le moule de la communauté, quelle qu’elle soit.
Ses ailes de géants l’empêchent de marcher. A lui de choisir : s’habituer à la marche, ou prendre son envol, seul, fier et triomphant. Mais proie facile.
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