A partir d’images inédites du making-of de “Man on the Moon”, Jim Carrey explique comment son interprétation en miroir d’Andy Kaufman a bouleversé sa carrière, et plus profondément, sa conception de la vie. Ce passionnant documentaire est disponible sur Netflix.
Qui êtes-vous, Jim Carrey ? C’est la question que s’est sans doute posé Milos Forman lorsqu’il vit, en 1999, débarquer le jeune comédien aux répétitions de ce qui serait son chef-d’œuvre – leur chef-d’œuvre : Man on the Moon. Premier élément de réponse : un drôle de type.
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C’est aussi la question posée par ce superbe documentaire de Chris Smith, Jim & Andy: The Great Beyond – Featuring a very special, contractually obligated mention of Tony Clifton, monté à partir d’images d’archives et d’une interview contemporaine de l’acteur. Et à l’issue de son visionnage (possible sur Netflix dès le vendredi 17 novembre), la réponse n’a vraiment rien d’évident.
Un documentaire à trois étages, comme une fusée vers la Lune
Le film, comme une fusée Apollo, se compose de trois niveaux, que résume bien le titre. Il y a d’abord Jim et Andy, Carrey et Kaufman, deux faces d’une même pièce que Smith va s’évertuer à faire tourner sur elle-même aussi vite que possible. Dès ses premières minutes, le documentaire montre comment la star, alors au sommet de sa gloire, s’est littéralement laissé posséder par son “homme sur la Lune”, Andy Kaufman donc, dont Milos Forman allait retracer le parcours professionnel et personnel, de la série Taxi fin 70’s début 80’s, à sa mort prématurée, d’un cancer, en 1984.
Célèbre pour ses capacités mimétiques, Jim Carrey se livra dans ce biopic à une performance ahurissante, allant bien au-delà des scolaires imitations à postiche dont raffole l’Académie des Oscars : il est devenu Kaufman, au point où même les proches de ce dernier en furent troublés. La beauté particulière du geste tient dans le fait que le modèle lui-même était connu pour se perdre dans ses personnages, pour pousser l’art du déguisement et du canular jusqu’à la métamorphose pure et simple – ainsi que pour y abandonner tout surmoi.
Les images de making-of qui composent l’essentiel du documentaire donnent ainsi à plusieurs moments le vertige, quand elles ne font pas hurler de rire (et souvent les deux en même temps). Il faut voir Forman excédé, se demandant dans quelle sorte d’asile il a mis les pieds, ou encore les employés du studio Universal, où fut tourné l’essentiel du film, ne sachant comment réagir face à ce type hirsute qui demande à voir Steven Spielberg expressément. Carrey ira tellement loin dans l’outrance que les producteurs mettront sous clé, jusqu’à aujourd’hui, les rushes du making-of, de peur qu’en soit trop ternie l’image du comédien.
Une réflexion philosophique sur l’identité et sa dissipation
Le deuxième étage de la fusée, c’est “The Great Beyond”, cet au-delà de l’être et du paraître. Peu à peu, Carrey, arborant dans l’interview cheveux longs et barbe à la Jim Morrison, fait dériver l’exercice mémoriel vers une réflexion philosophique (et plutôt futée) sur l’identité et sa dissipation dans le jeu. Son “qui suis-je ?” s’aventure ainsi du côté des conceptions les plus déconstructionnistes du moi (rejoignant par exemple les thèses du philosophe Clément Rosset dans son livre Loin de moi), et aboutit à l’idée qu’il n’y aurait tout simplement personne derrière le masque, ou personne d’autre qu’un masque. Ses apparitions récentes montrent en tout cas que la réflexion suit son cours (à la Fashion Week, dans ce documentaire, ou dans cette interview)…
Et le troisième étage alors, ce “very special, contractually obligated mention of Tony Clifton” ? Il s’agit là d’une référence au personnage le plus fameux d’Andy Kaufman, son double maléfique. Si Kaufman est mort, et si Carrey ne sait plus qui il est, demeure le spectacle de cet histrion bedonnant et malpoli, mauvaise conscience qui viendrait pour l’éternité nous rappeler que le rire, à condition de le prendre au sérieux, ouvre aux plus profonds abîmes existentiels.
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