Depuis vingt ans, Zhao Tao joue dans tous les films de Jia Zhang-ke, son époux. Avec « Les Eternels », tout juste sur les écrans, l’actrice livre sa composition la plus saisissante. Portrait à deux voix d’une longue relation d’amour et de travail.
Nous disons d’emblée à Zhao Tao et Jia Zhang-ke que, parmi les nombreux plaisirs que procurent au spectateur depuis bientôt dix-neuf ans les films du réalisateur, aujourd’hui figure tutélaire de la sixième génération des cinéastes chinois (celle dite “underground”), il y en a un, plus secret que l’évident génie cinématographique du Chinois : celui, étrange et familier, de retrouver son actrice fétiche, l’immarcescible Zhao Tao, qui se trouve aussi être la femme avec laquelle il est marié. Et ils ont ri, surpris et reconnaissants.
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Quand ils se rencontrent, en 1999, Zhao Tao est professeure de danse. Elle a 22 ans, Jia Zhang-ke 29. Lui peine à obtenir les autorisations pour tourner et distribuer ses films en Chine… Il fait passer des auditions dans le nord de la Chine, sa région d’origine. Il cherche une danseuse pour jouer dans Platform (2000), son deuxième film après Xiao Wu, artisan pickpocket, tourné trois ans plus tôt. Il fait la connaissance de Zhao Tao. Il lui explique aussi que la danseuse qu’elle doit jouer dans le film est une amateure, qu’elle doit donc être hésitante. “Sur le tournage, je devais retenir sans cesse mes pieds et mes mains pour ne pas danser trop bien, se souvient Zhao Tao en riant. En revoyant la scène, bien plus tard, je me suis rendu compte que même s’il y avait peu de mouvements, le personnage s’exprimait pleinement par la danse.” Par la suite, elle aura une scène de danse dans chacun des films de son époux.
J’ai vite découvert qu’en tant qu’actrice, Zhao Tao possédait un imaginaire très riche
Jia Zhang-ke
Jia Zhang-ke se souvient aussi : “J’étais allé la voir enseigner. L’une des élèves n’était pas très concentrée et parlait beaucoup. Zhao lui a dit : ‘Imagine que tu es muette et que ton seul moyen de t’exprimer, c’est par ton corps !’ Et la jeune danseuse s’est reconcentrée. Et mon regard sur la danse a changé. J’ai vite découvert qu’en tant qu’actrice, elle possédait un imaginaire très riche. Alors nous avons enchaîné sur un deuxième film…”
Jia Zhang-ke et Zhao Tao ne nous feront évidemment pas entrer dans leur intimité. Mais lui ne tarit pas d’éloges : “Elle a un talent naturel pour l’improvisation. Dans The World (2004 – ndlr), elle se rend à un moment dans un petit hôtel souterrain. Avec mon chef-op, on se demandait comment faire comprendre au spectateur que nous nous trouvions sous terre. Et Zhao a dit : ‘Je vais prendre mon téléphone portable et montrer que je cherche en vain un réseau…’ Dans Still Life (2006 – ndlr), j’avais besoin que l’on comprenne combien il faisait chaud. Un ventilateur était accroché au mur. Elle a un peu ouvert sa chemise et s’est mise quasiment à danser devant.”
Escapade européenne et retrouvailles
Entre 2008 (après 24 City, film choral de Jia Zhang-ke où Zhao Tao fait une apparition) et 2012, elle tourne en Europe, dans Ten Thousand Waves du réalisateur britannique Isaac Julien (2010) et La Petite Venise de l’Italien Andrea Segre (2011). Ils reprennent leur collaboration sur A Touch of Sin en 2013, un chef-d’œuvre. “C’est là qu’elle a commencé à atteindre des sommets, explique Jia Zhang-ke, en construisant un personnage d’une force intérieure impressionnante. J’étais sidéré en montant la scène du meurtre final. Cette scène a été tournée sur trois sites différents éloignés les uns des autres de 1000 kilomètres, avec des écarts de trois ou quatre mois. Zhao était toujours raccord, comme si son corps avait une mémoire parfaite…”
Quand on demande au cinéaste s’il considère Zhao Tao comme sa muse, il évite de répondre directement : “Je pense que sans elle, je n’aurais pas pu réaliser Les Eternels. Zhao doit incarner ce personnage sur environ vingt ans. Sincèrement, je connais peu d’actrices qui auraient été capables comme elle d’incarner avec son corps, sa voix, ces âges différents avec une telle véracité. Son talent m’aide à aboutir à l’esthétique que je recherche dans mes films.”
Pour le personnage féminin des Eternels, je me suis inspiré d’une femme qui a existé (…) son ombre plane sur le film
Jia Zhang-ke
En revanche, Zhao Tao ne lit jamais un scénario de Jia Zhang-ke avant qu’il ne soit terminé. “Pour le personnage féminin des Eternels, je me suis inspiré d’une femme qui a existé, explique le réalisateur. Le film ne raconte pas exactement sa vie, mais son ombre plane sur le film. Cette femme avait décidé d’adopter plusieurs jeunes hommes qui étaient des voleurs notoires de la ville. Quand Zhao a lu le script, elle m’a dit : ‘D’accord, c’est l’histoire d’une femme qui fait partie de la pègre. Mais pour moi, c’est d’abord une femme tout court.’ L’amour qu’elle porte à tous ses personnages, quels qu’ils soient, est entier.”
Peut-on entendre plus bel éloge ? Lorsqu’on regarde Zhao Tao, elle semble indifférente à tous ces compliments… On essaie alors de lui en adresser un, pour voir, même s’il est sincère : “Comment faites-vous pour ne pas vieillir ?” Elle rit et me dit : “Que répondre à cela ?” Et nous rions tous.
Les Eternels (Ash is purest white)
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