Décès de l’un des plus grands artistes comiques de l’histoire du cinéma.
Il y avait quelque chose qui tenait de l’abstraction dans le comique surtout visuel de Jerry Lewis – dont on peut être certain qu’une autre génie, Jim Carrey, fit son lit. Ses capacités grimacières étaient telles qu’elles déconnectaient quasiment ses personnages du reste de l’humanité. Les déformations de son visage devenaient non plus un outil comique mais un spectacle en soi, qui méritait des digressions dans ses films (c’est évident dans Le Zinzin d’Hollywood).
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Jerry Lewis est donc mort. Il avait 91 ans. D’origine juive russe, il n’était pas de tradition de ce qu’on nomme trop facilement l’humour « juif new-yorkais » (l’écrivain S.-J. Perelman, Groucho Marx, Woody Allen, etc.). Son comique n’était pas verbal. Dans la lignée de Harpo Marx, il était une sorte de mime musical.
Il avait débuté dans années quarante, au music-hall puis à la télévision, en formant un duo avec Dean Martin. Ce dernier était le clown blanc, Lewis l’auguste. Ce qui n’est pas le rôle le plus valorisant. Le clown blanc est élégant, l’auguste vulgaire et infantile. Avec les filles, c’est toujours le clown blanc qui embarque. Lewis était un énorme bosseur. Il racontait souvent les discussions qu’il avait eues avec Stan Laurel, qui était lui aussi le directeur du duo, celui qui inventait les gags pendant qu’Oliver Hardy allait jouer au golf. Le comique, c’est du boulot, Coco.
https://www.youtube.com/watch?v=1TWhFmCRdoU
Et puis il y eut la séparation avec Martin, en 1956, et Lewis, qui avait déjà débuté au cinéma dans des comédies de Frank Tashlin (comme Artistes et Modèles en 1955), commença à réaliser ses propres films (Le Dingue du Palace, Le Tombeur de ces dames…). Il mit au point un numéro, celui de la machine à écrire, qui fit le tour de monde et qu’il reprit sur scène.
Son quatrième film est un chef-d’œuvre : Dr Jerry et Mister Love. Lewis joue à la fois l’auguste (un prof de chimie très laid) et le clown blanc (un tombeur). Il réussit, seul, à reformer son couple avec Martin. Une performance.
Mais aussi une maladie (dont Jim Carrey semble lui aussi atteint) : la bipolarité. Tous ceux qui ont croisé une fois dans leur vie vous le diront : Jerry Lewis, dans la vie, pouvait être odieux ou charmant, sans raison objective. C’est sur cette maladie qu’il avait, dans la lignée de ses parents, déjà artistes de scène, construit son comique.
https://www.youtube.com/watch?v=93F4Yh0UEak
Il fut l’un des créateurs, dans les années 60, du Téléthon. Pour les Américains, il était devenu une personnalité philanthrope mais un artiste ringard. Seule la critique française (les Cahiers du cinéma comme Positif) continuait à vanter son talent de cinéaste. C’en était presque devenu un gag (La France, « le seul pays où l’on considère Jerry Lewis comme un génie »)… Godard vantait ses mérites, lui rendait hommage en le singeant (notamment dans Soigne ta droite). Pierre Etaix était son ami.
Lewis, lui, ne trouvait plus de financement pour produire ses films. En 1972, il commence le tourne The Day the Clown Cried, qui restera à jamais inachevé et bénéficie de l’aura des films fantômes : l’histoire d’un clown chargé, dans un camp d’extermination, d’accompagner les enfants jusqu’à la chambre à gaz.
Il devint acteur chez les autres et révéla un talent dramatique assez impressionnant, dans des rôles peu sympathiques : dans La Valse des pantins de Martin Scorsese (1983), il joue presque son propre rôle, celui d’un grand comique devenu animateur d’un show télévisé. On le voit aussi dans Arizona Dream d’Emir Kusturica (1993).
Malgré quelques tentatives de réaliser des films (et des participations dans des films minables de Philippe Clair, en France), il ne retrouve jamais le niveau de ses comédies des années 60 et quitte peu à peu le devant de la scène, miné par les maladies.
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