Attendu à la rentrée dans « Saint Laurent » de Bertrand Bonello, Jérémie Renier joue cet été les légionnaires chez Sarah Leonor. Il parle des Dardenne,
des intermittents, de l’Europe et de la Coupe du monde.
Qu’est-ce qui t’a attiré dans ce rôle de légionnaire dans Le Grand Homme de Sarah Leonor ?
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Jérémie Renier – En premier lieu le scénario, l’un des rares qui m’a fait pleurer. J’étais happé par la relation entre le gamin et l’adulte. Ensuite, je ne connaissais pas le milieu de la Légion et je suis toujours attiré par les projets qui me font découvrir un univers inconnu.
Tu incarnes à nouveau une figure de père, comme souvent dans les films des frères Dardenne…
C’est vrai qu’ils me mettent souvent dans cette position de père terrible (rires)… C’est un peu pareil dans le film de Sarah Leonor, du moins au début. Je joue un homme qui n’est pas fait pour avoir des gosses. Ce choc entre lui et l’enfant, entre deux « animaux sauvages », ça me plaisait. Après, ils s’apprivoisent et ça devient plus doux que dans Le Gamin au vélo ou L’Enfant.
Avec Sarah, vous transformez des légionnaires en beaux personnages de cinéma. Comment les percevais-tu avant ?
Je ne savais rien d’eux et je me suis informé. J’ai découvert que n’importe qui peut entrer dans la Légion, que le casier judiciaire disparaît, qu’ils ressortent avec une autre identité, que 80 % ne sont pas français… C’est très romanesque. Mais ce ne sont pas des rigolos, la formation de légionnaire est très dure.
Tu es aussi à l’affiche de Saint Laurent. Qu’est-ce qui t’a amené sur ce projet ?
D’abord travailler avec Gaspard (Ulliel – ndlr), dont je suis très proche, et retravailler avec Bertrand après Le Pornographe en 2001. Ensuite, je trouvais le scénario très fort, avec une singularité par rapport au biopic. Sur Cloclo, j’ai travaillé avec Benoît Magimel, qui est un peu mon grand frère de cinéma, et ça m’avait fait du bien. Je me suis dit que je pourrais faire du bien à Gaspard en l’accompagnant sur Saint Laurent.
Tu as besoin de te documenter pour un rôle, ou tu aimes y aller en en sachant le moins possible ?
J’ai besoin de me renseigner, de faire ma popote, surtout quand il s’agit d’un personnage qui a existé, même si je sais que Bertrand ne voulait pas aller vers une ressemblance absolue. Pour Pierre Bergé, ce n’était pas facile parce qu’il existe peu d’informations sur lui.
Pierre Bergé n’approuvait pas le projet de Bonello. Une pression accrue ?
Cette tension n’était pas évidente à vivre, on a fait avec. Mais cette situation nous a aussi laissé une certaine liberté. Bertrand a pu aller vers ses propres émotions et sa propre vision, « bousculée » par d’autres visions. J’ai essayé de coller au mieux aux informations biographiques dont je disposais. Je crois qu’on perçoit l’amour de Pierre Bergé pour Yves et ce qu’il créait. Après, on sait tous que les relations amoureuses sont compliquées et qu’une part de leur relation leur appartient.
As-tu suivi la Coupe du monde et le parcours de la Belgique ?
(rires) Je suis moins foot que les Dardenne mais à chaque fois, je me fais prendre par le Mondial, d’autant que la Belgique était d’un bon niveau et que mes enfants sont passionnés. Ce que j’aime avec le foot, surtout dans un pays fractionné comme le nôtre, c’est que ça rassemble. J’ai vu Belgique-Etats-Unis avec François Damiens et d’autres amis dans un bar à Bruxelles. On était unis dans la même énergie, la même force.
Le destin politique de la Belgique, la montée d’un nationalisme flamand agressif, ça te préoccupe ?
Oui, ce n’est pas simple. Je tourne dans des films flamands, il existe des rapprochements, mais il y a aussi des films flamands qui font un million d’entrées en Flandres et qu’on voit peu en Wallonie. Mais les Wallons ne se déplacent pas non plus pour les films belges francophones ! Les frontières sont peut-être nécessaires, mais je regrette souvent qu’elles existent. C’est quand même triste qu’un pays aussi petit que la Belgique ne trouve pas un chemin ensemble.
As-tu suivi les soubresauts politicoéconomiques agitant le cinéma français ?
Je milite en Belgique pour le statut des intermittents du spectacle. Je comprends qu’on soit en crise et que ce statut irrite d’autres parties de la population, mais il faut comprendre qu’un artiste a besoin de temps pour créer et ne peut pas produire douze mois sur douze. Un pays sans culture est un pays qui meurt. Il faudrait que le cinéma européen s’unisse, seule façon de résister à la puissance américaine ou chinoise. Vincent Maraval a attaqué les acteurs sur leurs revenus, mais nous sommes nombreux à ne pas toucher de cachets mirobolants, même si je suis privilégié par rapport à des amis peintres ou acteurs qui galèrent.
Maraval donnait une image dangereuse des acteurs et c’est facile de taper sur eux. Ils sont une infime minorité à abuser et ne sont pas les seuls à gagner de l’argent dans le cinéma. Les films étant de plus en plus difficiles à financer, chacun doit réfléchir, les acteurs doivent être capables de diminuer leur cachet sur des productions plus fragiles… C’est ce que je fais.
En ce moment, l’Europe connaît une forme de rejet. Toi, le Bruxellois, quel est ton rapport à l’Europe ?
(rires) C’est sûr qu’on souffre de l’Europe telle qu’elle fonctionne, que l’euro a créé de l’inflation. Mais sans l’Europe, nous serions peut-être écrasés. La crise aidant, l’Europe ne va pas bien et ses bienfaits supposés ne sont pas visibles. Mais dans l’idéal, nous sommes une seule humanité, habitant sur une seule planète qui ne nous appartient pas.
Comment a-t-on pu se dire un jour « tiens, ce bout-là m’appartient » ? Dans les films de science-fiction, quand des extraterrestres envahissent notre planète, les humains ne se battent plus entre eux mais s’unissent contre un danger commun. Alors prions pour une proche invasion martienne !
Propos recueillis par Serge Kaganski
Le Grand Homme de Sarah Leonor, en salle le 13 août Saint Laurent de Bertrand Bonello, en salle le 24 septembre
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