Pour Midnight Special, le premier de ses films produit par un studio, Jeff Nichols revient sur ses obsessions : la famille, l’enfance, la foi, le Sud. Rencontre, à Austin, avec l’auteur de Take Shelter et Mud.
Jeff Nichols nous reçoit dans son très sobre bureau, à Austin, au Texas, hébergé par Sarah Green (aussi productrice de Terrence Malick), qui l’accompagne depuis Take Shelter, son deuxième long métrage. A peine vient-il de terminer le montage du prochain, Loving (attendu à Cannes), que le précédent, Midnight Special, s’apprête à transpercer les salles et les cœurs de sa lumière magique.
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Trois ans après Mud et son Mississippi tortueux, c’est une nouvelle traversée du Sud, mais cette fois-ci en ligne droite et en voiture, avec un fond SF plus affirmé que jamais et une ambition commerciale plus grande – même si le cinéaste sait pertinemment que ce film, son premier produit par un studio, n’a pas les épaules d’un blockbuster, trop sec, trop mystérieux.
Nous étions déjà venus l’interroger, dans sa ville chérie, en 2013, et sommes pratiquement sûrs qu’il portait la même chemise à carreaux et le même pantalon, marron – parfait uniforme de gentleman farmer qui lui sied à ravir. Nous nous prenons alors à imaginer le placard de ce père de famille de 37 ans, identique à celui d’un autre Jeff, Goldblum, dans La Mouche : rempli des mêmes costumes pour ne pas avoir l’embarras du choix.
Ce serait bien son genre, à lui qui ressemble tant à ses films : directs et simples en apparence, ambitieux mais pas prétentieux, faits d’une glaise éternelle et immuable, qu’on ne peut ramasser qu’au pays de Faulkner. Sans bruit ni fureur, Jeff Nichols trace en tout cas son chemin depuis près de dix ans et fait avec nous le point sur sa carrière, tout en révélant les secrets de son précieux Midnight Special…
Pourquoi ce titre ? C’est une chanson de Creedence Clearwater Revival, n’est-ce pas ?
Jeff Nichols – C’est en effet une chanson, dont la version la plus célèbre a été chantée par CCR au début de Twilight Zone (film à sketches produit par Steven Spielberg en 1983, où deux hommes roulent en pleine nuit, feux éteints – ndlr), mais à la base, c’est une chanson de prisonnier, qui se trouve dans le domaine public. Ça parle d’un train fantôme qui passe au-dessus de la prison et emporte les morts au paradis…
https://youtu.be/M6NmHEFB2n8
Ce n’est évidemment pas ce que raconte mon film, mais les paroles m’obsédaient depuis longtemps… Pour tout vous dire, le titre est ce qui est venu en premier, avant le scénario. Je savais quel genre de film je voulais faire – à la fois un hommage au cinéma fantastique des early 80’s, et un road-movie à la Macadam à deux voies –, et ce titre m’a paru approprié. Ça sonne bien, non ?
Oui. Il y a trois ans, vous nous expliquiez que tous vos films partaient de l’idée de peur et que celui-ci, que vous terminiez alors d’écrire, s’attachait à la peur de perdre son enfant…
Quand mon fils avait 1 an, il souffrait de ce qu’on appelle des convulsions hyperthermiques du nourrisson. Le corps devient trop chaud et s’éteint en quelque sorte, provoquant des convulsions. Quand c’est arrivé la première fois, ma femme et moi avons paniqué : on a pris la voiture et on a foncé aux urgences en grillant tous les feux rouges. On a appris que c’était en fait bénin et commun, mais ça reste très impressionnant…
Dans ces moments-là, vous souffrez pour la chair de votre chair, c’est comme si on vous arrachait un bras. Sauf que vous n’avez aucun contrôle sur ce corps, il n’est pas le vôtre, et il faut s’y faire, car ça sera de pire en pire à mesure que votre enfant grandira. Voilà de quoi j’avais envie de parler.
Donc un sentiment très simple et universel, et autour duquel vous construisez néanmoins une narration relativement complexe…
C’est précisément parce que je parle d’un truc universel que je peux me permettre d’être tordu dans ma narration… Vous savez, de plus en plus, je juge les cinéastes à l’aune de leur vision du monde, davantage qu’à celle de leur virtuosité. Et de plus en plus, j’ai besoin de trouver l’espoir dans les œuvres… Alors même si mes films parlent de la peur et partent des ténèbres, ils essaient de les percer par la lumière. La fiction doit permettre de dépasser la peur.
Quel genre d’enfant étiez-vous ?
A good boy ! J’ai grandi en Arkansas, avec mes deux parents et mes deux frères, en banlieue et pas à la campagne – je le précise car beaucoup de gens ont pris Mud pour une autobiographie. J’ai eu une enfance on ne peut plus heureuse, à regarder des films et à jouer avec d’autres enfants, tandis que mes parents me soutenaient dans mes choix.
Ils m’ont encouragé à étudier le cinéma à la fac et lorsque j’ai tourné Shotgun Stories, ils ont hébergé l’équipe chez eux. A l’école, je n’étais ni bon ni mauvais, mais sérieux. Et comme mon père me répétait que mes notes ne reflétaient pas mon intelligence, je ne m’en faisais pas.
Etiez-vous têtu ? Parce que tous vos personnages le sont. C’est même ce qui les définit en premier lieu…
Je ne suis pas borné. Avec mes collaborateurs, j’essaie de me comporter du mieux que je peux. Je conçois le plateau de tournage comme un lieu où règne la politesse, a minima, à défaut du bonheur. Plutôt que têtu, je dirais que je suis loyal et fidèle. Et je suis franc. Je dis ce que je veux. Je suis un mec assez basique, en fait ! (rires) C’est pour ça que j’aime autant Michael Shannon. Vous lui envoyez un scénario, il le lit, il vous dit “good” et c’est parti, pas besoin de plus.
Le personnage joué par Adam Driver dans Midnight Special a un nom français : Paul Sevier. Est-ce un hommage à Claude Lacombe, joué par François Truffaut dans Rencontres du troisième type ?
Absolument. Le film de Spielberg est une des influences majeures de ce film, avec Starman de John Carpenter (1984 – ndlr) et le personnage joué par Truffaut m’a toujours obsédé. Généralement, les gens qui travaillent pour le gouvernement sont désignés comme des salauds. Lui, typiquement, on s’attendrait à ce qu’il veuille disséquer les extraterrestres ou les utiliser à des fins militaires. Mais pas du tout : il veut seulement les connaître, communiquer avec eux. Il prend tous les clichés à revers. Richard Dreyfuss dans Les Dents de la mer a le même profil. Paul Sevier est un mélange des deux.
C’est en effet une vision à contre-courant. Depuis les révélations d’Edward Snowden, on identifie la NSA comme le mal absolu…
Oui, c’est vrai, mais j’ai écrit mon scénario avant que le scandale n’éclate. Je n’ai fait aucune recherche sur la NSA pour écrire ce personnage : tout ce que je sais sur eux, je le sais par les films ! Ce n’était pas la big picture qui m’intéressait mais le trajet d’un seul agent, qui n’est qu’un minuscule rouage dans la machine. Pour tout vous dire, avant les révélations de Snowden, je ne croyais pas à ces histoires de surveillance généralisée à la Ennemi d’Etat pour une raison simple : on sous-estime la bureaucratie et son incompétence.
Warner est connu pour “héberger” nombre d’auteurs (Christopher Nolan, Alfonso Cuarón, George Miller, les Wachowski…). C’est la première fois que vous travaillez avec un grand studio. Comment cela s’est-il passé ?
Les auteurs que vous citez travaillent à une échelle plus grande que moi, ils font des films à plusieurs centaines de millions de dollars. Moi je suis plus modeste, je suis dans une niche (on évoque un budget de 18 millions de dollars pour Midnight Special – ndlr).
Ecoutez, le studio s’est très bien comporté avec moi. Vraiment. Il y a eu un changement d’équipe de direction au moment où je tournais (Jeff Robinov, qui avait donné le feu vert au film, s’est fait virer en 2013 – ndlr), et j’ai eu un peu peur, naturellement, car ce n’est jamais évident de changer d’interlocuteur en cours de route. Mais la nouvelle équipe m’a laissé travailler sereinement et m’a soutenu jusqu’à la fin. Les changements qu’ils m’ont encouragé à faire – je dis bien “encouragé” car j’avais le final cut – visaient à s’assurer que le film soit compréhensible, que l’on ait toutes les informations nécessaires. Ça me paraît normal, ce n’est pas un abus de pouvoir.
Sur quoi bossez-vous en ce moment ?
Je viens de terminer Loving. C’est fondé sur une histoire vraie, celle d’un couple racialement mixte, dont le nom de famille était Loving, marié en Virginie dans les années 1950. Or à l’époque, c’était illégal de se marier entre Blancs et Noirs. Il y eut donc un procès, célèbre dans la lutte pour les droits civiques, qu’ils gagnèrent au niveau fédéral. Mais avant que la Cour suprême ne tranche en leur faveur, ils durent s’exiler et endurer toutes sortes d’humiliations. C’était des gens très simples, et têtus à nouveau, c’est ce qui m’a attiré dans cette histoire. Joel Edgerton joue Richard Loving et Ruth Negga celui de Mildred, son épouse. Et je vous le dis : je suis très très content de ce film…
Pourriez-vous réaliser un scénario 1) que nous n’avez pas écrit, 2) qui se passe ailleurs que dans le Sud des Etats-Unis ?
C’est sur le point d’arriver, je crois ! J’ai récemment lu un scénario qui m’a plu, et qui se passe dans une grande ville. C’est trop tôt pour dire de quoi il s’agit, mais je ne suis pas si têtu, vous voyez !
Vous plaisez-vous toujours autant à Austin ?
Toujours. Ici, la vie est plus simple, faire des films est plus simple. Je ne suis pas près de bouger. A Los Angeles, tout le monde parle de faire des films, mais qui en fait vraiment ? Honnêtement, je ne sais pas très bien où j’en suis dans ma carrière, quelle est ma cote à Hollywood, ce genre de choses. J’ai la chance de faire les films que je veux, je ne cherche pas à en savoir plus.
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