Membre du jury du prochain Festival de Cannes, elle évoque Sean Penn, le Club des 13, les difficultés des « Cahiers du cinéma » et son rôle à venir dans « Sagan ».
Vous allez être membre du jury du prochain Festival de Cannes…
Jeanne Balibar – Oui, c’est excitant, ça fait longtemps que je n’ai pas pu aller voir trois films par jour. La sélection est impressionnante. Et puis parler de cinéma avec des gens qu’on admire, mettre de belles robes, c’est bien (rires). Je crois que j’ai et que je veux garder une vision extrêmement naïve de Cannes. Comme actrice, j’ai toujours ressenti un plaisir enfantin à découvrir un film que j’ai fait en même temps que d’autres gens, un public, souvent nombreux, à qui on montre son travail.
Le président, Sean Penn, vous le connaissez ?
Non, je ne l’ai jamais rencontré. Pourtant, j’ai l’impression d’avoir passé ma vie avec lui, depuis le film où il est avec Madonna, Shanghai Surprise. L’un de ses films qui m’a le plus marquée, c’est L’Impasse de Brian De Palma, celui où il est tout bouclé.
Sean Penn est quelqu’un de très engagé. Croyez-vous que le Festival le sera également sous son impulsion ?
Ce sont des choses qui ne se décident pas à l’avance. Pour qu’il y ait une prise de parole politique efficace dans un lieu comme celui-là, il faut qu’il y ait des événements qui s’enchaînent, pas simplement des individus qui prennent la parole. En 1968, quand le Festival a été annulé, il y avait une concentration de forces sociales, politiques et individuelles.
Que pensez-vous des réflexions du Club des 13, ce groupe de travail qui a établi un rapport sur la crise de financement du cinéma français ?
J’en ai lu quelques extraits, j’en ai discuté autour de moi : leurs analyses et leurs propositions sont les bienvenues. C’est bien que ce rapport ait été entièrement conçu par des gens du cinéma, ça le rend plus fort, plus crédible. J’ai le sentiment que les propositions qu’il contient sont excellentes par rapport à un certain état du cinéma, une certaine conception du cinéma et de la manière dont il se fabrique et se diffuse. Mais je pense qu’il faut aussi prendre en compte la façon dont le cinéma se modifie, notamment du point de vue de la production et de la diffusion. Un art, c’est le dialogue entre une façon de s’exprimer et des techniques en mouvement.
Quel est votre sentiment concernant les difficultés rencontrées par les Cahiers du cinéma, que le groupe Le Monde souhaite revendre ?
Les Cahiers, c’était un lieu d’expression de la critique comme genre littéraire. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus académique, peut-être moins intéressant, c’est peut-être ce qui explique leurs difficultés.
On vous a vue à l’affiche des Rois maudits de Josée Dayan sur TF1. La télévision vous intéresse ?
Aujourd’hui, on ne sait pas très bien où sont les choses intéressantes. Je ne sais pas si je vais préférer un film que je vais voir au cinéma, un épisode de 24 heures chrono ou une vidéo YouTube : on n’a plus le droit d’avoir d’a priori, ce serait débile de ne pas expérimenter dans ce contexte.
Marjane Satrapi sera également membre du jury. Etes-vous sensible à son travail ?
Oui, je trouve qu’elle est arrivée à faire entrer une histoire et une dimension politiques à travers une autofiction personnelle et intime. Je ne trouve pas ça forcément dans la littérature d’aujourd’hui.
En juin prochain sortira un biopic consacré à Françoise Sagan dans lequel vous jouez…
…sa femme. Sagan est un personnage passionnant. Ils m’ont appelée pour jouer ce rôle alors que je ne savais même pas qu’elle était lesbienne. C’est un film qui va faire redécouvrir une époque, un peu comme l’avait fait Ingrid Caven, le roman de Jean-Jacques Schul. C’était un peu l’envers du rock’n’roll : les gens se défonçaient à Deauville et chez Saint Laurent. C’était hypersophistiqué et trash : on n’y survivrait pas deux ans.