Initiatrice d’une tribune publiée dans Le Monde sur l’oubli de la culture dans le discours d’Edouard Philippe, Jeanne Balibar a corédigé un second texte, signé par plus de 800 professionnel·les, publié le week-end dernier par Libération, s’exprimant sur la prise de parole d’Emmanuel Macron sur les actions des pouvoirs publics pour sauver les industries culturelles. L’actrice et réalisatrice revient pour nous sur ces annonces jugées « trop floues ».
Pourquoi avez-vous choisi de publier cette seconde tribune ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
A l’issue de la première tribune que nous avons publiée dans Le Monde, l’Elysée nous a contactés et nous a invités à envoyer un mail pour préciser ce que nous voulions. Nous l’avons fait en mettant en relief les deux points essentiels de notre tribune : un grand plan d’ensemble et, au-delà même de la situation des intermittents du spectacle, une attention à tous les travailleurs qui ont des emplois discontinus.
Dans la foulée, l’Elysée a communiqué sur les annonces à venir du Président. Nous les avons bien sûr écoutées en direct et ensuite nous nous sommes retrouvés avec Eric Toledano, Olivier Nakache et Sandrine Kiberlain, qui participaient à la discussion avec Emmanuel Macron, pour discuter de ce qui venait d’être dit.
>> A lire aussi : Françoise Nyssen : “Il faut imaginer un grand plan de relance pour le livre”
On s’est rendu compte qu’il y avait quelques annonces très précises concernant la production cinématographique. Mais elles portaient sur des points qui étaient déjà en discussion avant le Covid : à savoir faire participer les plateformes à la création cinématographique ou encore la question du piratage. Mais, sinon, pour toutes les autres questions pour le cinéma et pour tous les autres arts, les mesures étaient très floues.
C’est un élément qui nous est beaucoup revenu du monde de la musique par exemple : les salles, les concerts, les tourneurs, tout ce qui concerne le live en musique, rien n’a été travaillé qui prenne en compte le scénario du pire. En ce qui concerne les arts plastiques, les fonds levés paraissent misérables par rapport aux autres arts. En danse, Mathilde Monnier a attiré notre attention sur la situation des compagnies indépendantes, sur lesquelles personne ne sait rien.
Tout d’un coup, nous sont remontés une infinité de problèmes. Tout cela étant à mettre en parallèle avec les sept milliards qui ont été débloqués pour Air France. Donc des grands plans d’action chiffrés ont été étudiés et annoncés dans certains domaines.
Il vous est apparu que la protection des industries culturelles n’était pas une priorité, n’est-ce pas ?
Oui, nous avons eu l’impression d’un faible engagement en ce qui concerne le plan de survie d’un pan énorme de l’économie de notre pays, qui constitue un pourcentage significatif du PIB. Un pan dont l’importance n’est d’ailleurs pas seulement économique, mais aussi spirituelle. Parce qu’elle engage la vie de l’âme, du rêve et de l’intelligence des gens. La réponse n’était pas à la hauteur des enjeux. Progressivement, nous nous sommes rendu compte aussi que sur la question des intermittents les zones de flou qui restaient étaient très dangereuses.
>> A lire aussi : Pour Aurélie Filippetti, Macron “ne répond pas à l’urgence de la situation”
Parce que le diable est dans les détails. Et tant que nous n’avions pas le détail des modalités d’application, notamment sur la question des dates anniversaires, on ne pouvait pas être sûrs que derrière les mots « année blanche » il y avait bien un dispositif pour sauver de l’abandon total tous les intermittents du spectacle. Ce qu’on a compris tout de suite en revanche, c’est qu’il n’y avait pas eu un mot de prononcé sur les autres emplois discontinus qui assurent la vie culturelle du pays.
Cela concerne tous les intérimaires, tous les saisonniers, tous ces gens qui ne bénéficient pas d’un régime particulier d’assurance chômage. Tous ne travaillent pas dans le secteur culturel. Cela concerne 2,2 millions de personnes dans notre pays. Nous avons pris la parole concernant notre domaine en rappelant qu’il ne vivait que grâce à ces gens. Maintenant, à chaque domaine de prendre la parole pour pousser un cri d’alarme sur ce silence.
Avez-vous eu beaucoup de témoignages de personnes concernées par votre appel ?
Tous les jours. Que ce soit en parlant avec Sophie Calle ou Annette Messager, qui disent que les équipes d’accrochage ou d’éclairage de leurs œuvres sont déjà en train de basculer au RSA. Que ce soit dans l’appel au secours que nous envoie une fille qui fait du catering pendant les concerts.
>> A lire aussi : Confiné·es, Jeanne Balibar et Nadav Lapid regardent…
Ou encore dans ce mail d’une commissaire d’exposition que je connais et qui représente les indépendants (journalistes pigistes, scénographes, peintres, encadreurs, illustrateurs, etc) acculés à une précarité immense, sans aucune aide pour les mois à venir. Elle me raconte que beaucoup ne vont pas pouvoir survivre, vont changer de métier, qu’elle-même ne sait pas trop ce qu’elle va faire. Alors qu’elle est quand même commissaire d’exposition pour la Philharmonie de Paris.
Comment ce texte résonne-t-il avec le début du déconfinement et la reprise du travail pour une partie de la population ?
Nous sommes extrêmement conscients que tout le monde retourne au travail la peur au ventre, avec des problèmes de garde extrêmement complexes à gérer, de transports en commun, de protection sanitaire. Mais au milieu de ce retour à une vie extrêmement difficile, il y a des gens qui ont été oubliés depuis le début et qui continuent à l’être.
A la fin du texte, vous utilisez un mot très puissant : « indignité ». Peux-tu le commenter ?
Ce qui se joue dans le cadre d’une crise aussi violente et aussi dangereuse, c’est quand même de l’ordre de la dignité humaine. Derrière l’expression « quoi qu’il en coûte », ce qu’il faut préserver, c’est la dignité humaine. La possibilité de se nourrir. D’être logé. De s’occuper de ses proches. On ne peut pas se taire si on considère que la dignité humaine n’est pas préservée. Et alors, pour les gens qui ont le pouvoir de s’en occuper, ne pas le faire, ça devient de l’indignité.
{"type":"Banniere-Basse"}