A Locarno, on s’ennuie ferme devant un film suédois et on se réveille devant le pétage de plomb fascinant de Jeanne Balibar en hôtesse de l’air.
On se songerait évidemment pas à s’en plaindre pour de vrai, mais on avouera quand même que voir certains films dans un festival nous paraît parfois la rançon exorbitante au privilège d’être là, choyé dans un hotel sympa au bord du lac à faire du pédalo entre deux projections.
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De ces doux privilèges, on a donc expié en s’ennuyant dur à Songs of tomorrow, un film suédois filmé comme un vieux truc dogma (cadrage à l’épaule parkinsonnien) et à la commisération poético-burlesque pour les loosers dingos qui n’est pas sans rapport avec l’univers du tandem Delepine/Kervern, ou encore d’un Boulil Lanners – un jeune critique français emporté a même parlé à ce propos d’une redoutable « belgisation » du cinéma d’auteur mondial.
Les pleurnicheries de « Memory Lane »
Mais ce n’était rien à côté de l’inflammation allergique qui allait nous saisir durant la projection de Memory Lane, le premier long-métrage du français Mikhael Hers (sélectionné deux fois à la Quinzaine des réaliateurs cannoise pour ses précédents moyen-métrages), chronique douceâtre des atermoiements d’une bande de pré-trentenaires. Sûr de ses valeurs, le film exerce une ironie absurde sur les pauvres personnages ne partageant pas les codes culturels de ses principaux personnages, tout en échouant à rendre ceux-ci attachants ou désirables. Il alterne surtout à ce grand contentement de soi une mélancolie très affectée proche de la pleurnicherie.
Mais parce qu’on est honnête, on ne vous cachera pas que d’autres journalistes des Inrocks (Jacky Goldberg, Amélie Dubois…) ne partageaient pas du tout cette irritation et ont aimé le film.
D’autres films nous ont plu bien sûr ces derniers jours. Curling, du canadien Denis Côté, par exemple. Le film campe en territoire hostile, à savoir un bled paumé dans le grand nord canadien en plein hiver. Avec cette immensité comme ligne de fuite épique, le film organise un face à face entre un père et sa jeune fille, qu’il a isolée du monde. Certains plans-séquences statiques sont impressionnants de maîtrise et d’intensité. Et si le scénario abuse un peu du déni d’informations moderniste (on ne saura pas pourquoi la mère est en prison, qui sont ces cadavres dans la neige, etc.), Curling existe de manière assez forte plastiquement.
Jeanne Balibar parfois méconnaissable dans « Im Alter von Ellen »
Certains passages du récit de Im Alter von Ellen, le film allemand en compétition, sont aussi un peu obscurs, mais ce second long-métrage de Pia Marais, cinéaste sud-africaine installée en Allemagne, est assez fascinant. On y suit le pétage de plomb d’une hôtesse de l’air, qui, après s’être fait larguer par son mec, est victime d’une panic attack lors d’un décollage. Commence alors un drôle d’intinéraire marqué par d’inattendues rencontres et la pratique d’un activisme politique radical, auquel elle se livre avec une étrange indifférence, comme on ferait n’importe quoi d’autre.
C’est Jeanne Balibar qui incarne Ellen et c’est évidemment elle, sa puissance d’actrice, ses sourires indécidables, son empreinte vocale unique, qui porte le film de bout en bout et rend si fascinante son énigme. Ces dernières années, des films bons (Le plaisir de chanter) ou moins bons (Sagan, La fille de Monaco) cantonnaient la comédienne dans un registre d’excentrique un peu fofolle, que le film amende radicalement. Tout en folie contenue, inquiétante froideur, passivité insidieuse, Balibar parvient même dans certains scènes à ce qu’on ne la reconnaisse pas tout à fait, et à trouver des gestes, des intonations, un être à l’image qu’on ignorait d’elle (il faut dire aussi que sa maîtrise de l’allemand est stupéfiante). Une très grande actrice au service d’un beau film.
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