Le cinéaste français est mort le jeudi 8 août 2019 à Paris. Avec lui, une idée de cinéma comique et provocateur, nourri à la comédie italienne, disparaît.
En février 1987, comme elle en a l’habitude, la Cinémathèque française organise une avant-première. Il s’agit ce soir-là d’un film français, Le Miraculé, réalisé par Jean-Pierre Mocky, venu présenter son film. Qui est dans la salle ? Notamment Leos Carax, dans la lumière depuis la sortie de Boy Meets Girl et de Mauvais Sang – soit ce qui se fait à l’époque de plus branché dans le milieu cinéphile.
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Pourquoi commencer cet hommage par cette évocation ? Parce que, depuis sa disparition il y a quelques jours, Jean-Pierre Mocky a été réduit à une caricature, dont il était en partie responsable : celle d’un vieux braillard de plateaux télé et de ses propres plateaux de tournage. Or il fut à une époque à la mode, reconnu par la profession du cinéma, mais aussi par sa critique et ses institutions, comme un cinéaste digne de ce nom, un auteur.
Un artisan du cinéma
Assurément, Mocky ne faisait pas dans la dentelle, ce n’était pas son truc. La délicatesse de ses premiers films (ceux des années 1960, tels que Snobs ! et Un drôle de paroissien), où les sentiments étaient encore présents, où l’image était belle, fit place, à partir des années 1970, à une vulgarité totalement assumée, à une laideur (terme qu’utilisait pour le désigner le critique Serge Daney – qui aimait beaucoup le cinéma de Mocky et le défendit souvent) généralisée du filmage, des situations, des sentiments.
Alors, oui, certains films étaient bâclés, mais avait-il vraiment les moyens de faire autrement ?
L’hitchcockien Agent trouble (1987), l’un des pics de sa filmo, avec Catherine Deneuve tout d’un coup châtain et toute frisée, fait presque figure d’exception dans ce florilège de cradinguerie – Mocky, dans Il gèle en enfer, pénétrant une femme en criant “Pan !”, doit être un des sommets de paillardise et de vulgarité de son œuvre.
Il faut dire qu’avec le temps, ses moyens financiers diminuaient d’année en année et qu’il se battait pour pouvoir tourner dans toutes les configurations économiques possibles. C’était un artisan du cinéma. Alors, oui, certains films étaient bâclés, mais avait-il vraiment les moyens de faire autrement ?
Ces fameux “Moteur !” dont il soûlait ses techniciens en train de régler une lumière ou de poser une caméra témoignaient-ils seulement d’une folie furieuse ou de l’angoisse d’un metteur en scène qui produit lui-même ses films et qui sait combien chaque minute lui coûte ?
Naissance d’un nouveau cinéma comique
Mocky s’était construit une légende, du type qui aurait eu dix-sept enfants jusqu’à l’homme d’affaires qui aurait fait fortune dans la restauration, en passant par sa date de naissance qui variait de 1933 à 1929 (pour l’éloigner de France, sous l’Occupation, son père, juif, avait fait falsifier sa carte d’identité afin de l’envoyer en Algérie, avant de renoncer à l’exiler).
Ce qui est sûr, c’est qu’après la guerre, il avait été repéré par Pierre Fresnay, avait fait le Conservatoire, rencontré Belmondo, Marielle, Rochefort, Claude Rich. Il disait aussi qu’il avait été le secrétaire d’Erich von Stroheim. Il avait fréquenté, autre certitude, les rédacteurs des Cahiers du cinéma, futurs cinéastes de la Nouvelle Vague, et notamment Godard.
Mocky a une œuvre inégale selon les époques, mais une bien belle filmo qui comprend quelques jolies perles (La Grande Lessive (!), Les Compagnons de la marguerite, Le Miraculé, etc).
Dès son premier film en tant que réalisateur, Les Dragueurs (1959), il invente un cinéma comique qui n’existait pas avant lui : classique dans sa facture (la qualité française), mais en phase avec son époque dans le ton et les dialogues (la Nouvelle Vague), pas très éloigné de celui de Chabrol – dont il n’a évidemment pas la maîtrise languienne. Il y a des passerelles évidentes entre le cinéma de Mocky et celui de Claude Chabrol dans ses moments provocateurs et outranciers.
Envers et contre tout
Mocky a renouvelé la comédie populaire ringarde (les nanars) en y insufflant l’énergie de la comédie italienne (il avait beaucoup travaillé comme acteur en Italie avant de passer à la réalisation) et un aspect politique plus français, résolument anticlérical, antibourgeois, antimilitariste, antiflics, anti-tout, en gros anarchiste, mais aussi antipopuliste, qui l’amenait à s’attaquer à des institutions populaires comme le football et surtout les supporters (A mort l’arbitre).
Mocky, dans ses meilleurs films, était un formidable conteur et directeur d’acteurs à trogne et de caractère
A partir des années 1980-90, il joue même un peu les Yves Boisset en dénonçant, dans un style plus grotesque, la corruption du politique, du Vatican et de la finance.
Mocky, dans ses meilleurs films, était un formidable conteur et directeur d’acteurs (de premiers et de secondes rôles) à trogne et de caractère (il a même tourné un film avec Michel Simon, L’Ibis rouge). Poiret et Serrault, Fernandel, Francis Blanche trouvaient avec lui leurs plus beaux rôles.
C’est ainsi que Bourvil – longtemps cantonné aux personnages de prolos benêts à béret – accède à des personnages plus bourgeois, comme celui d’un noble catholique désargenté devenu pilleur de troncs d’églises dans l’hilarant Un drôle de paroissien, ou d’un professeur de français contre la télévision dans La Grande Lessive (!).
Des nanars de haute volée
Mocky sortait les acteurs comiques des rôles où on les enfermait, les modifiait physiquement, les déguisait et les grimait même (Francis Blanche avec un œil de verre opaque et un béret blanc sur la tête, ou même déguisé en femme, Poiret avec un catogan dans Le Miraculé, c’est quelque chose !), pour leur donner des partitions drôles mais plus intelligentes, plus variées et mieux écrites que Mon curé chez les nudistes (Robert Thomas) et autres niaiseries de Philippe Clair et Max Pécas qui s’éclataient dans les années 1970. Mocky, c’était le nanar de qualité. Dans les bons moments.
Le comique à tous crins semble son mot d’ordre. Il n’en manque pas une. Un cadre supérieur passe momentanément derrière un tableau noir ? Il en profite pour se curer discrètement le nez (Snobs !). Tout est bon pour rire et faire rire, d’un bon vieux rire bouffon et potache qui se régale de tout. Jusqu’à la provocation, avec hargne et santé, mais toujours sans aigreur.
Il existait chez lui une métaphysique de la dévastation par le trivial, derrière laquelle rien ne repoussait
Mocky, en tant qu’acteur, se laissait aller à des réflexes de vieux phallocrate. Il aimait bien se donner le mauvais rôle, dire des cochonneries dans ses films, jouer les maquereaux. Il en rajoutait toujours une grosse louche. Mais il existait chez lui, en digne héritier des Marx Brothers, une métaphysique de la dévastation par le trivial, derrière laquelle rien ne repoussait, pas même le bon goût. C’était un alcool fort et sans nuances.
Une transmission assurée
La descendance de Mocky est beaucoup plus importante qu’on pourrait le croire. Peut-être parce que son cinéma n’a jamais été naturaliste et que le naturalisme n’est plus du tout à la mode. Alors il n’est pas abusif de dire qu’il y a du Mocky chez Serge Bozon, Bruno Podalydès, Yann Gonzalez, et encore plus chez Antonin Peretjatko (dans l’œuvre duquel cela saute aux yeux et semble assumé).
L’émission de télévision Strip-Tease se serait-elle intéressée à Mocky si elle n’avait pas un peu son esprit ? Groland, les films de Kervern et Delépine, ceux de Guillaume Nicloux avec Michel Houellebecq n’ont-ils pas un côté mockien ?
Enfin, impossible de ne pas penser qu’il y a du Mocky dans le personnage de Merde (joué par Denis Lavant) du film Tokyo !, que l’on retrouve dans Holy Motors de Leos Carax. Celui-là même qui avait applaudi à la fin du Miraculé, ce soir de février 1987.
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