Un émouvant documentaire sur le quotidien de trois accidentés du cerveau.
Cinéaste peu prolifique, Emmanuel Finkiel ne tourne pas pour rien. César 1997 du court métrage pour Madame Jacques sur la Croisette, César et pris Louis-Delluc du premier film 1999 pour Voyages, prix Jean-Vigo 2008 pour Nulle part terre promise, Finkiel est quasiment synonyme de “un film, un prix”.
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Dans Je suis, il a posé son regard dans un centre de rééducation pour patients ayant subi un choc au cerveau (chute, accident vasculaire cérébral…).
Finkiel a suivi en particulier trois d’entre eux. L’un a des difficultés à se souvenir de sa date de naissance et arbore un visage de sphinx à la Buster Keaton – avant son AVC, il était un souriant professeur de tennis. La seconde parle d’une voix fluette, parfois inintelligible, et ne sait plus associer une image de lunettes au mot “lunettes” – elle était directrice d’agence bancaire. Le troisième bave, a du mal à bouger ses bras, fait des efforts surhumains pour lancer une balle dans un seau placé à vingt centimètres – avant de prendre sur la tête le portique de ses enfants, il était comptable.
Emmanuel Finkiel filme les exercices de ces accidentés, leurs maladresses, leurs efforts en de beaux plans consistants, intenses, habités par le “suspense” du travail cognitif et de son résultat. Dans ce film, le temps importe, à l’intérieur de chaque scène mais aussi à l’échelle des saisons, car les microprogrès d’un exercice peuvent s’additionner en de sensibles améliorations sur le long terme.
Ils ne reviendront peut-être jamais à leur plein état antérieur mais ils auront héroïquement réappris à redevenir sujets. Ces patients en grave difficulté étaient aussi fils, épouse, père, mère…
Par leur abnégation, leur générosité, leur intelligence, leur retenue émotionnelle dans un contexte extrêmement dur, les proches apparaissent eux aussi comme des héros du quotidien. Des parents expliquent que c’est grâce à leur croyance en leur fils que celui-ci a émergé d’un long coma. Le film est plein de ces modestes épiphanies qui bouleversent sans jamais appuyer sur le tire-larmes.
Et puis on ne mentionnait pas Buster Keaton par hasard : dans cet univers dramatique, il y a place pour l’humour, la saillie burlesque inattendue. Le rire provenant souvent de corps inadaptés, chutant, il n’est pas illogique que ces êtres en décalage avec la sociabilité normée provoquent parfois le sourire.
Un sourire certes vite étouffé par la réalité dramatique de leur condition mais qui aide aussi à la surmonter. Comme ce film qui se tient magnifiquement face aux douloureuses injustices de l’existence.
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