[Leïla Slimani, rédactrice en chef] “Vous êtes-vous déjà senti·e étranger·ère ?” Leïla Slimani souhaitait poser cette question à des écrivains et des artistes. L’actrice, scénariste et cinéaste Maryam Touzani lui répond.
“Etrangère pendant les quelques heures où j’ai pu me retrouver, lors d’un dîner, entourée de personnes qui prétendaient. Qui prétendaient s’intéresser à ce qui se passait à quelques centaines de mètres des beaux restaurants ou des villas huppées où ils dégustaient leurs mets, en se penchant quelques instants sur le sort de ceux qu’ils choisissaient de ne voir que par instants, que quand cette reconnaissance venait les grandir en tant qu’êtres déjà omnipuissants, que quand le fait de leur dédier quelques phrases venait conforter leur immense mansuétude.
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Oui, je me sens étrangère. Etrangère quand je les entends dire que leurs précieux talons ne peuvent fouler les trottoirs de la ville, pris d’assaut par des gens ignorants. Et je me demande de quel côté sévit réellement cette ignorance.
Etrangère quand je les entends s’évertuer brillamment à disserter sur les luttes des autres, faisant référence à telle ou telle actualité, quand je les entends parler de droits fondamentaux, de dignité, alors qu’ils ne daignent pas partager un moment de vie avec ces êtres qu’ils ne connaissent pas et ne connaîtront certainement jamais, car les schémas vertueux dans lesquels ils ont grandi ne leur inculquent pas le goût de l’autre.
Mais plutôt la peur de l’autre. Le rejet de l’autre. De celui qui n’a pas l’éducation, de celui qui n’a pas les moyens, de celui qui n’a pas de place dans leur réalité étriquée. Et ils se barricadent dans leur tour dorée, se contentant de temps à autre de lui jeter une cacahuète pour prouver leur générosité.
Etrangère blessée quand je ressens la profondeur abyssale de ce clivage, qui se creuse davantage jour après jour. Etrangère outrée quand je me retrouve au sein d’une élite qui pourrait faire avancer les choses, réellement, si elle ne se contentait pas de prétendre.
Etrangère tout court, car j’ai l’impression parfois de ne pas respirer le même air, de ne pas vivre le même pays.”
Dernier film en salle Adam
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