Un documentaire engagé et convaincant pour la reconnaissance d’une identité et d’une culture des malentendants.
Il y avait eu le documentaire de Nicolas Philibert, Le Pays des sourds, en 1993. L’année dernière, La Famille Bélier se déroulait dans une famille de sourds et triomphait en salle. J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd est d’un tout autre acabit : c’est un documentaire engagé. Son auteur, Laetitia Carton, expose et défend le discours des sourds militants d’aujourd’hui, qui refusent qu’on les considère comme des handicapés et luttent pour qu’on reconnaisse leur identité, leur culture propre, que leur langue (celle des signes) soit reconnue comme telle (avec ses idiotismes et sa richesse de nuances) et surtout qu’elle soit enseignée aux sourds, ce qui, contrairement à ce que l’on peut croire, est très loin d’être le cas général aujourd’hui.
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En 1880, des scientifiques non sourds se réunissaient à Milan et optaient pour la thèse “oraliste”, qui consiste à apprendre le langage parlé à des sourds pour qu’ils puissent plus ou moins s’intégrer dans la société des entendants. Aujourd’hui, les sourds veulent qu’on cesse de les considérer comme des anormaux. Leur problème : se faire entendre (sans jeu de mots) par leurs concitoyens et la presse, devenir visibles dans une société qui ne s’intéresse pas à eux.
La question du son
Sous la forme d’une lettre adressée à l’un de ses amis sourds, comédien et homosexuel qui s’est suicidé il y a quelques années et qui était à l’origine de ce film, J’avancerai vers toi… émet des opinions radicales, évoque des questions complexes et controversées, débat dans lequel le néophyte a quand même du mal à se positionner, même s’il comprend la colère de la réalisatrice. Le récit s’éparpille un peu. Mais le spectateur lambda que nous sommes apprend tellement de choses (passionnantes ou révoltantes) sur les sourds et le sort qui leur est réservé par nos sociétés (jusque dans les années 1970, on poussait les sourds à se faire stériliser…), qu’il serait mesquin de chipoter sur la forme du film.
Mais il y a autre chose, en creux, qui aiguise la curiosité. Pour une raison qu’elle ne donne ou ne connaît pas, Laetitia Carton s’est toujours intéressée au monde des sourds, allant jusqu’à apprendre la langue des signes et à fréquenter leurs lieux de rencontres. Cette question est peut-être la plus intéressante et intrigante du film. Qu’est-ce que le son, en l’occurrence son absence, quand on est cinéaste ? Que signifie “signer” (“parler” la langue des signes) et pratiquer le cinéma, qui lui-même est né sans le son ? Il n’y a pas de hasard. Surtout quand, pendant la scène où l’on assiste à un cours de langue des signes, on songe soudain à Sacha Guitry, dans Deburau, enseignant l’art du mime à son fils qui va lui succéder.
J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd (Fr., 2016, 1 h 45)
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