Véritable meilleure série de l’été, “The Night Of” raconte l’histoire de Nasir Khan, un gentil garçon accusé de meurtre après une nuit sauvage. Au générique, on retrouve l’immense James Gandolfini, décédé en 2013. Comment diable est-ce possible ?
La seule chose qui n’impressionne pas dans The Night Of, c’est son générique. Réalisé par Deluxe’s Method Studios, la séquence d’ouverture n’est qu’une succession de clichés sombres emmenés par une musique déjà oubliée. Mais au bout de 55 secondes, entre un taxi jaune et une douche qui fuit, le nom de James Gandolfini apparaît sur un building avec la mention “producteur exécutif”. Le colosse italo-américain serait-il revenu d’entre les morts pour hanter nos écrans ? Hélas non.
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Son grand retour manqué
Le 10 juin 2007 est diffusé sur HBO le dernier épisode de la meilleure série de l’histoire. Après huit années dans la peau tendue du parrain dépressif Tony Soprano, trois Emmy et un Golden Globe, on voit bien l’acteur du New Jersey avaler le monde du cinéma comme une tranche de coppa. Foudroyé d’une crise cardiaque dans un hôtel romain le 19 juin 2013, il n’en n’aura pas vraiment eu le temps.
Entre les deux événements, Gandolfini n’apparaît physiquement que dans douze longs métrages, avec pour meilleurs rôles des personnages secondaires dans Zero Dark Thirty et le décevant Killing Them Softly. Une vingtaine d’années auparavant, c’eût été un échec irrémédiable. De nos jours, Kevin Spacey ou Anthony Hopkins préférant le format confortable d’une série à celui d’un film de deux heures, le petit écran n’a plus rien a envié au grand. James Gandolfini l’avait peut-être compris, ou peut-être que non, mais c’est bien chez lui, sur HBO, qu’il préparait son grand retour.
The Night Of devait dans un premier temps s’intituler Criminal Justice, du nom de la série britannique à succès dont elle est l’adaptation. Gandolfini, acteur mais également producteur du projet, comptait néanmoins y ajouter une grosse touche personnelle. Ainsi, il défendait le programme comme une étude intimiste du système judiciaire américain et de ses dérives, comme lorsqu’un accusé est déjà “présumé coupable”. Fin 2012, après une période d’hésitation, HBO donne son feu vert. Non pas pour une série classique, mais pour une mini-série d’une saison, nouveau format en vogue aux États-Unis.
Dans l’épisode pilote, Gandolfini, ventre imposant et grosse barbe campe le rôle de John Stone, avocat des putes et des dealers tombé sur un gros coup et chargé de l’affaire glauque dont tout le monde parle. Ancienne de la BBC, Jane Tranter fut la première à proposer une adaptation à la chaîne américaine. Dans une interview au Hollywood Reporter, elle explique à quel point l’ancien Soprano était investi dans le projet :
“Jim [Gandolfini] avait une idée très claire de comment jouer Stone. Il avait une relation très physique avec le personnage et la manière dont il voulait le jouer.”
Le tournage des épisodes 2 et 3 est à peine programmé lorsque le décès de James Gandolfini vient freiner la production. Après une période de deuil, HBO décide de maintenir la série, en hommage à l’acteur. Une fois l’accord de la famille obtenu, la chaîne part à la recherche d’un remplaçant et opte pour Robert De Niro. Suite à des difficultés de calendrier, la légende doit décliner et le script tombe dans les mains d’un autre Italo-Américain, John Turturro.
Jim & John en 2007 (Strephen Chernin/AP)
Vieux copains
Acteur fétiche des frères Coen, le New-Yorkais est, entre autres exploits, célèbre pour son interprétation du rôle titre dans Barton Fink et de Jesus Quintana dans The Big Lebowski. A des années lumière du second rôle, mais presque aussi cafardeux que le premier, Turturro est époustouflant en avocat minable, rongé par l’eczéma, contraint de se balader en sandales et méprisé par son fils. A tel point que c’est bien pour lui, qu’on veut voir l’affaire se résoudre, plus que pour son client qui croupit en cellule.
Pourtant, l’acteur de 59 ans aurait pu refuser. Dans une interview publiée par le New York Daily News, il exprime à quel point lui et Gandolfini étaient proches : “Nous étions amis. J’étais à l’enterrement de son père, il était à celui de ma mère. Quand il est mort… ” Turturro peine à contenir son émotion. Et pour cause, les vieux copains se connaissaient depuis une vingtaine d’années, après des présentations faites par la cousine de John.
En 1992, Aida Turturro est à Broadway pour une version d’Un tramway nommé désir, avec Gandolfini comme partenaire. Plus tard, elle incarnera sa sœur, l’insupportable mais attachante Janice Soprano, durant quarante-neuf épisodes. Aida apparaît ainsi en clin d’œil dans The Night Of, aux côtés de Max Casella, un autre ancien du crew de Tony. Au New York Times, John Turturro, qui avait également dirigé son pote dans Romance & Cigarettes en 2007, revient sur son soulagement d’apprendre que seul un pilote avait été filmé :
“Ça faisait quand même bizarre, parce que c’était mon ami. Je ne savais pas à quel point il avait tourné. S’il avait fait le truc en entier, j’aurais été genre ‘Ahhh, oh mon dieu, je dois effacer tout ça de ma tête’. Mais je n’avais du coup pas grand chose à effacer.”
La décision rendue plus facile, Turturro décide tout de même d’écrire à la veuve de Gandolfini avant d’accepter le rôle. Il ne rencontrera pas d’opposition. Aujourd’hui, il se félicite de faire partie d’une liste d’acteurs comprenant feu son ami et Robert De Niro, même s’il ne fut que le troisième choix:
“C’est la vie. Ça arrive souvent, que des acteurs soient sur le point de prendre un rôle, d’en faire quelque chose de grand, puis d’être remplacé par un autre. Faire partie du débat ? J’en suis heureux.”
The Night Of est un tel succès que certains fans réclament déjà une seconde saison. Une idée qui pourrait tenter HBO. Si les huit épisodes sortis semblent suffisants, inscrire le nom de James Gandolfini à une potentielle autre grande série semblerait aussi élégant.
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