Rencontre avec l’acteur et réalisateur insaisissable et protéiforme James Franco au Festival du film de Deauville, qui rendait hommage à son oeuvre de cinéaste.
Si vous l’ignoriez (un seul de ses films est sorti en France), un coup d’œil à sa filmographie vous en donnera la mesure : à côté de sa carrière d’acteur, James Franco a depuis quinze ans réalisé un nombre astronomique de films auto-produits. Marqués par des figures tutélaires, notamment du côté de la littérature (beaucoup d’adaptations, de biopics…), entre hommage aux maîtres et velléité un chouia naïve de gratter une bonne note dans les sphères cultivées, ces objets ultra-indés valent aujourd’hui à l’acteur les honneurs du festival de Deauville. C’est ici que nous l’avons rencontré, pour décortiquer une carrière aux virages peu communs.
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Deauville vous rend un hommage pour l’ensemble de votre œuvre. Recevoir à 38 ans des honneurs de vieux maître, ça vous inspire quoi ? Vous allez prendre votre retraite ensuite ?
(rires) Vous savez s’il y a eu d’autres récipiendaires de cet âge ?
Ils ne sont pas forcément tous âgés, mais vous restez parmi les plus jeunes…
C’est ce qui me semblait… En fait, je suis surtout heureux que ce soit à l’occasion de la présentation d’In Dubious Battle, ma dernière adaptation littéraire. J’en ai fait quelques-unes maintenant… Des bouquins qui étaient là depuis des décennies et n’avaient jamais été portés à l’écran, souvent parce qu’on les disait inadaptables. Que cet hommage mette la lumière sur cet aspect de mon travail me touche beaucoup.
Selena Gomez dans « In Dubious Battle » (copyright That’s Hollywood / AMBI / Rabbit Bandini 2016)
Après l’ultra-notoriété, après la comédie, après l’underground chic, comment imaginez-vous les futurs chapitres de votre vie ?
J’ai passé un moment à réaliser des adaptations que je voulais denses, sévères… Et il fallait être très tactique pour les produire, réunir l’argent, les bonnes personnes. Je crois que j’allège le ton maintenant, en gardant bien sûr ma liberté mais en me rapprochant du mainstream. Je bosse avec David Simon (The Wire) sur une série HBO dont je vais écrire deux épisodes, j’ai aussi collaboré avec J. J. Abrams sur 11/22/63. Je teste de nouveaux dosages, entre l’outsider et l’insider…
Est-ce que votre travail dans le drame vous importe plus que vos comédies ?
Non. Il y a une vieille formule : « One for you, one for them ». Si tu ne fais des films que pour toi, tu perds vite le loisir de les faire, et si tu n’en fais que pour les autres, tu deviens un prestataire. Mais moi, le « one for them », c’est une comédie que je fais avec Seth Rogen ! De quoi je pourrais me plaindre ? Ces films, je les aime autant que mes réalisations.
James Franco et Seth Rogen dans « L’interview qui tue », d’Evan Goldberg et Seth Rogen (copyright Columbia/Sony 2014)
Pour reprendre un terme que vous avez employé, on a l’impression que vous avez manœuvré pour redevenir un outsider, afin de réintégrer ensuite (maintenant ?) l’inside par une nouvelle voie.
C’est un peu ça… Rabbit Bandini (sa boîte de prod fondée en 2003) a pris un peu de poids, on a maintenant les épaules pour soutenir des jeunes auteurs, les mettre sur les rails, etc. Peut-être que mon parcours idéal, c’est celui de John Cassavetes, qui a connu de grands succès publics en tant qu’acteur pour conquérir son indépendance, et l’a mise à profit pour signer des chefs-d’œuvre dont beaucoup n’ont pas tant marché, mais ce n’était pas grave. C’est un modèle pour moi, et je l’ai souvent en tête quand je pense à la trajectoire que ma carrière essaie de prendre.
Vous privilégiez toujours les adaptations et les biopics aux projets originaux. Pourquoi ?
Je l’ai beaucoup perçu comme un exercice, consistant à tenter de me hisser, humblement, à la hauteur d’œuvres que j’adore. Et tout simplement, c’est une question de goût : je bouquine énormément, ça a un impact sur mes souhaits. Dans les « film schools », on vous dit tout le temps de « trouver votre voix »… Et ce délire d’adaptation, c’est sûrement ma voix. Il y a un plaisir de caméléon, car je tente toujours de coller à l’esprit qui se dégage de l’écriture, du style du matériau. Je ne réalise pas du tout de la même manière quand j’adapte Steinbeck ou McCarthy.
Vous êtes impliqués dans un très grand nombre de projets. Vous n’avez pas peur d’en faire trop ? Avez-vous parfois le désir de prendre plus de temps, de sortir du rush ?
Je ne réalise tout de même qu’une seule chose à fois. C’est en tant qu’acteur que je speede plus, sans doute. Peut-être que je me mens, mais je n’ai pas forcément le sentiment de travailler dans l’urgence, probablement parce que j’ai la chance de consacrer mon temps de travail à ma passion, et par-dessus le marché, de travailler avec mes amis. Il n’y a aucun endroit que je préfère à un plateau de tournage : Seth Rogen est mon ami de toujours, mais à choisir, je préfère faire un film avec lui plutôt que d’aller boire des coups ou fumer des joints.
Vous êtes sujets à l’ennui quand un projet s’éternise ?
Oui, je n’aime pas attendre. À Hollywood, il y a une inertie terrible, des projets qui circulent vainement, roupillent au point mort pendant des années. Je crois que c’est pour ça que je me suis lancé dans l’autoproduction avec Rabbit Bandini. Pourtant ce n’est pas une fatalité : il est possible de concrétiser des idées, get things done !
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