Après la disparition de son créateur Ian Fleming, Bond passera dix ans au purgatoire de la série B. Et retrouvera sa superbe grâce aux effets spéciaux et à des scénarios fidèles aux ressorts originels.
Avant James Bond, les choses étaient simples : dès que l’industrie du cinéma voulait porter sur grand écran les aventures de super-héros, elle choisissait d’adapter des vieilles gloires du roman policier dans des piètres films de série B. Aussi, pendant que la BD et les polars se nourrissaient de créatures de science-fiction (Marvel, Spider-Man, etc.) et de héros modernes, le cinéma recyclait les aventures du Saint ou les enquêtes de Sherlock Holmes. Seules les tribulations de Philip Marlowe arrivaient à tenir le public un peu en haleine, mais son profil de détective des années 30 n’a pas résisté longtemps après-guerre. Complètement tombé en désuétude dans l’entertainment des années 50, le super-héros semblait condamné aux films de seconde zone et aux séries télévisées.
Longtemps, le cinéma n’a pas su quoi faire de James Bond. Dès la parution des premiers bouquins de Ian Fleming en 1953, les scénaristes ont acheté les droits sans réellement voir comment adapter ses histoires. Bond posait problème à Hollywood : son profil novateur d’agent secret, son permis de tuer, ses gadgets incroyables, son rythme de vie effarant et son caractère très anglais n’entrouvraient aucune porte dans l’imagination des scénaristes. Il était à la fois inadaptable dans des films de guerre et ne justifiait pas qu’on prenne le risque du film de super-héros. En 1954, quand Casino Royale fut porté pour la première fois sur le petit écran, James Bond semblait condamné à vivoter dans des films télé, jusqu’à ce que la guerre froide le sauve.
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Avec la glaciation des relations Est-Ouest, Bond a retrouvé une fonction cinématographique idéale pour l’ensemble de l’industrie. D’autant que les bouquins de Ian Fleming brossaient un personnage quasiment prêt à l’emploi, sous condition de quelques retouches sur sa panoplie et d’un peu de glamour dans ses aventures d’espionnage. Plus qu’un héros, c’est l’homme moderne idéal qu’Hollywood se met en tête de créer : rusé, beau gosse, autorisé à tuer, vivant à toute berzingue dans ses voitures de sport, faisant régler les additions par son patron, alignant des paris incroyables au casino sans jamais rater un banco, sirotant de la vodka-Martini et carburant à trois conquêtes féminines par film. Mais aussi un héros étonnamment humain qui, s’il n’est jamais battu, en prend souvent plein la poire pendant ses combats. Un héros magnifique, mais pas féerique.
Sur le fond, la fidélité du cinéma aux histoires écrites par Fleming est exemplaire. 007 reste l’agent anglais disposant du tact et de la neutralité politique suffisants pour ne froisser aucune susceptibilité des deux côtés du rideau de fer, capable de lutter contre cette organi-sation du crime SPECTRE qui recense tous les ennemis communs, japonais et allemands, de la Seconde Guerre mondiale. Des quatorze bouquins écrits par Ian Fleming, les producteurs des James Bond conserveront les soucis de narration au point d’inviter l’auteur à adapter le scénario d’Opération Tonnerre, et de transcrire presque mot pour mot à l’écran Au service secret de Sa Majesté… Les producteurs veilleront aussi sur des petites subtilités qui deviendront cultes : les apparitions de Q pour expliquer à Bond les dernières innovations technologiques qui vont le sortir de tout, la tarentule de Dr. No, l’intrigue autour de la machine à décoder dans Bons Baisers de Russie, l’homosexualité entre Tilly et Pussy Galore dans Goldfinger. Autant d’éléments qui ont donné aux dix premiers James Bond un fort pouvoir attractif et affectif, parfaitement adapté à son époque, qu’il ait les traits du baroudeur classieux Sean Connery ou l’élégance précieuse d’un Roger Moore très concerné par l’héritage victorien.
Avec la mort de Fleming en 1964, Bond s’est rapidement retrouvé à court de scénarios. Vivant sur des bouts d’histoires ou des récits courts regroupés sur le dernier recueil de Fleming, Rien que pour vos yeux, Bond vit sa dernière véritable aventure originale dans L’Espion qui m’aimait et devient, par la suite, la créature des seuls scribouillards d’Hollywood qui cuisinent des restes de nouvelles à la sauce Star Wars pour envoyer 007 dans l’espace. C’est avec Moonraker qu’on perd définitivement Bond, dans un navet interstellaire où l’on retrouve l’acteur français Michaël Lonsdale dans le rôle du méchant et même Georges Beller dans un second rôle ! Orphelin de son créateur, Bond traîne sa misère dans Rien que pour vos yeux et même lorsque Hollywood approche un peu l’esprit de Fleming (Octopussy, Dangereusement vôtre), ce sont les pectoraux de senior d’un Roger Moore overdosé de gadgets médiocres qui plombent les films, avec son espionnage à l’eau de rose.
Les actrices engagées pour jouer les conquêtes de James Bond ont dû retrouver un peu d’enthousiasme avec le remplacement de Roger Moore par Timothy Dalton. L’acteur n’y est pas le Bond parfait, mais Permis de tuer et Tuer n’est pas jouer renouent un peu avec les ressorts du 007 originel : des gadgets moins nombreux, mais plus convaincants, plus « réels » et surtout un rythme un peu plus soutenu. Véritable star de l’entertainment, James Bond n’en est pas moins un héros usé, vivant surtout sur son glorieux passé, lorsque Pierce Brosnan endosse son costume. Régénéré à grands coups d’effets spéciaux, ce nouveau Bond réactive miraculeusement la magie des premiers films de la saga avec une doublette fascinante (GoldenEye et Demain ne meurt jamais) qui, non contente de proposer de vrais méchants (Elliott Carver notamment) aussi impitoyables que Dr No ou Goldfinger, redonnent à 007 ses premières vertus : séducteur, impitoyable et terriblement humain.
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