A l’occasion de la sortie de Sur la piste du Marsupilami, Jamel évoque son lien amical et de cinéma avec Alain Chabat, l’actualité la plus noire et une campagne présidentielle en rose.
Un grand hôtel à Paris, au lendemain de la première du nouveau film d’Alain Chabat, Sur la piste du Marsupilami, dans une salle des Champs-Elysées. Alain Chabat rencontre des journalistes dans un coin du patio, Jamel Debbouze dans un autre. Dans “Le Marsu”, comme on dit déjà, Debbouze joue le rôle de Pablito Camaron, un jeune type un peu hâbleur qui jure avoir vu le petit animal jaune et noir qu’avait imaginé André Franquin, le dessinateur de Spirou et Fantasio. C’est le deuxième film du Jamel acteur avec le Chabat réalisateur. Le duo fonctionne à merveille dans le film comme à la ville. Parfois, Jamel hèle Chabat à l’autre bout du patio. Canal+, le cinéma : les itinéraires sont parallèles, le respect réciproque. Détendu, plus concerné par le propos que par le “Paris-Brest revisité” qu’il avale, Jamel revient sur le film, son histoire, sa relation avec Chabat. Au détour d’une bonne bouchée, il évoque aussi la campagne présidentielle qui accompagne la sortie du Marsu.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Te souviens-tu de la première fois où Alain Chabat t’a parlé du Marsupilami ?
C’était un déj pendant Astérix, il y a dix ans. Il me dit : “Après ça, il va falloir qu’on fasse un truc marrant. Tu connais le Marsu ?” Je lui réponds que non. “Bon, laisse tomber” (rires)… Dix ans plus tard, il revient avec son truc. On m’a raconté que sur Gazon maudit il en parlait déjà : c’était il y a quatorze ans, Gazon maudit ! J’ai toujours pensé qu’Alain ferait tout ce qu’il voudrait. Il s’impose par une sorte de force tranquille, on lui fait naturellement confiance. Il a, comme Gondry, un univers, un style, une musique, une particularité. De tous les gens que j’ai rencontrés, j’en ai jamais vu d’aussi barré. Impossible de le classer. Didier par exemple, c’est l’histoire d’un chien qui se transforme en homme. Ça paraît chelou sur le papier parce que, normalement, tu n’y crois pas (rires). Sauf avec lui… Pour y parvenir, il va chercher Bacri qui, avec son pragmatisme, saura donner corps à l’histoire. RRRrrrr !!!, ça n’a pas marché parce que ce n’était pas son film mais celui des Robin des Bois. Il n’est pas parti d’une feuille blanche, alors que c’est ça son fort.
Il se passe un truc particulier entre toi et Chabat ?
Un des premiers mecs qui est venu me voir à Canal, c’est lui. Bien sûr, j’avais déjà rencontré les boss, Lescure et de Greef. Lui, il a débarqué en collègue, et même en client. Ça m’a beaucoup surpris. Il m’a parlé en souriant de deux vannes que j’avais sorties et qui l’amusaient. C’est comme si j’avais été pris au centre de formation du Real Madrid et que Zidane était venu me proposer de taper des ballons avec lui.
Tu étais fan des Nuls ?
Honnêtement, je préférais Les Inconnus, parce que je n’avais pas le décodeur. Même en clair, on avait du mal à capter, on a eu quarante contrefaçons de boîtiers mais on ne s’en sortait pas. J’ai découvert Les Nuls après, et j’ai pris perpète tout de suite. J’adore quand Chabat présente le journal, il a un flegme extraordinaire, il ne force jamais. On voit aussi qu’il a une connivence avec ses acolytes : ils jouent à l’aveugle. Surtout, c’est drôle. Quand il parodie Est-ce que tu viens pour les vacances ? de David et Jonathan avec Farrugia, ils se foutent de la gueule du monde entier. Pareil pour Tonyglandyl, le sketch sur le dentifrice. Chabat est le premier mec que j’ai entendu dire “couille” à la télévision. Il y avait une vraie irrévérence chez Les Nuls, un truc qu’on ne pourrait plus faire aujourd’hui. Mais en même temps ils ressemblaient aux gens qu’ils faisaient marrer, ils donnaient envie de les suivre.
Il est comment comme réalisateur ?
Il a vachement évolué depuis Astérix. Sur Le Marsu, avant de venir sur le plateau, je le sentais moins libre que sur Astérix, bizarrement : plus retenu, plus flippé. Les critiques sur RRRrrrr !!! l’ont blessé. Puis, à un moment donné, il s’est lâché. Mais ce film n’a pas été facile pour lui. Il a vécu des trucs terribles. Il a d’abord perdu son père de boulot, Claude Berri, qui le suivait partout. Surtout, en plein tournage du Marsu, il a perdu son vrai père. Quand tu dois faire des vannes, ça devient assez bizarre. Il a traversé des moments très pénibles ces derniers mois.
Dans Le Marsupilami, vous pouvez faire penser aux grands duos comiques français, Depardieu et Pierre Richard, Bourvil et de Funès…
Mais c’est ça qu’on voulait. La scène où on se retrouve enterrés tous les deux, on s’est demandé : qu’est-ce qu’on peut faire enterrés ? Une vraie colle. Qu’est-ce que tu peux faire enterré jusqu’au cou ? Au final – je laisse le suspense –, on a pleuré de rire. Enterrés jusqu’au cou, on a pleuré de rire. Je me souviendrai toute ma vie de cette séance de travail avec ce mec qui avait envie de se marrer… Crachat, caillous, chihuahua, les spectateurs verront.
Tu as mis beaucoup de choses à toi dans les dialogues ? “Tirer à carottes réelles”, c’est de toi, non ?
Oui, c’est de moi (rires). Je ne peux pas m’en empêcher. Chabat n’a pas peur de moi, je l’amuse, il est client. Ça me met dans des dispositions extraordinaires. Il n’y a pas de compète entre nous, pas de rivalité. J’ai ça avec Jean-Pierre Bacri aussi. Tu remarqueras, je n’ai jamais tenu le premier rôle dans un film. Pas parce que j’ai peur. D’abord je n’ai pas été servi (rires), mais aussi parce que c’est pourri d’avoir le premier rôle, c’est pas intéressant. Les films qui nous font le plus rire, Chabat et moi, sont ceux avec des duos.
Le film a coûté très cher : ça a pu ajouter une pression ?
Je suis le plus mauvais exemple pour parler de ça. Je suis passé par Nova, je suis arrivé à Canal et je me suis toujours retrouvé dans des endroits où il y avait du fric. Je ne me suis jamais posé la question d’où venait l’oseille de l’industrie. Chabat, il produit ses films mais il ne nous parle jamais d’argent. Encore l’école Canal.
Cette école Canal+, c’est aussi Omar Sy qui remporte un César pour Intouchables, Michel Hazanavicius qui triomphe avec The Artist…
Ce cinéma vient de Canal, mais d’une certaine façon de Nova aussi, de Jean-François Bizot. J’ai progressé parce qu’on ne m’a pas jugé. Quand Bizot, un mec qui a fait plein de trucs, te permet de faire quelque chose, toi petite crotte de bique, c’est génial. Quand Nova ne ferme jamais, que tu peux y dormir, que tu peux écrire sur les murs sans que personne ne te casse les couilles, c’est extraordinaire. Une fois, je me souviens, j’étais en train de taguer sur un mur de Nova “Nik quelque chose”. Bizot passe et me dit très simplement “Ça s’écrit nique, n-i-q-u-e, pas avec k”. “Renseigne-toi pour savoir comment ça s’écrit” : voilà sa réaction, et non pas : “Me dégueulasse pas le mur.” C’est la liberté, comme à Canal quand on m’a mis caméra fixe et fond blanc, je faisais absolument ce que je voulais. Aujourd’hui, c’est moins possible, la plupart du temps on a affaire à des vendeurs d’aspirateurs. A Nova, j’ai rencontré Sapho, des mecs qui faisaient de la rumba congolaise, Gainsbourg, Khaled, NTM, Solaar, le Ministère A.M.E.R., c’était un carrefour culturel où on était les bienvenus. J’essaie de reproduire ça au Comedy Club…
Au moment où tu fais Le Marsu, tu as aussi ton spectacle…
On aurait dû tourner avant mais j’ai fait le truc à fond. J’avais le Comedy Club aussi, et le bureau. Mais quand tu pars dans une dynamique de vannes, c’est quand même vachement intéressant, ça s’entretient. Voilà pourquoi j’ai accepté Hollywoo, j’avais envie de la dynamique de la comédie. Je sortais du Rachid Bouchareb (Indigènes – ndlr) et j’ai ressenti le besoin de retrouver un certain rythme.
Dans ta carrière il y a Indigènes, avec un certain engagement, et des comédies. Y-a-t-il un genre qui l’emporte sur l’autre ?
Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de reconnaissance. C’était indispensable de faire Indigènes, parce qu’au moment où on nous le propose on est bankable. Cinq ans plus tôt, ça aurait été impossible de monter un film sur quatre blases de Rebeus. Quand Rachid Bouchareb arrive avec le certificat d’enregistrement militaire de ton arrière-grand-père, mobilisé dans la même section que celui de Bouajila, tu ne peux pas refuser. Si je ne m’engage pas, j’ai l’impression d’être inutile. Je viens de Trappes, ville communiste. Les communistes ont été les premiers à parler à mon père, c’est eux qui nous ont fait voyager. Je viens d’une ville de gauche, avec un tissu associatif très très fort. Je suis au courant du monde qui m’entoure, et de la galère dans laquelle vivent les gens. Quand on voit ce qui s’est passé à Toulouse et la manière dont les gens s’offusquent de la stigmatisation, c’est fatigant. On a envie de dire : “Mais vous ne découvrez quand même pas, les mecs !” Quand on voit comment on tente d’instrumentaliser le bordel, c’est dégueulasse. S’il s’était agi d’un néo-nazi, on aurait dit : “C’est un marginal”. Il n’y a aucune idéologie dans ce qu’a fait ce mec, aucune. On ne tue pas des enfants pour venger d’autres enfants. C’est un fou, un cas isolé, mais il y en a de plus en plus, parce qu’il y a de plus en plus de gamins frustrés par notre système. On a l’argent, on a les moyens de sortir la banlieue du marasme. On peut faire en sorte que les jeunes des banlieues fassent connaissance avec la France. Je suis conscient de ça. Mais je vais continuer à alterner Indigènes et Le Marsupilami, c’est comme ça qu’il faut faire. Ils sont “en campagne”. Moi, je suis en campagne toute ma vie.
Tu évoquais les communistes de Trappes…Que penses-tu de Jean-Luc Mélenchon ?
J’aime bien. Je vois l’arnaque mais j’aime bien. Il me fait marrer. Je sais qu’ils vont se mettre d’accord avec François Hollande à la fin. Mélenchon, c’est un socialiste intelligent, il ratisse large. Je préfère entendre un Mélenchon qu’un Bayrou et plein d’autres. Il dit pas que des conneries, Mélenchon, il a su rassembler, redonner une gouache au propos, un nouvel élan pour l’extrême gauche. Mais là où je le trouve intelligent, c’est qu’il ne se montre pas si extrême que ça. Il s’exprime bien, il est cultivé, il a une haute opinion de lui-même et il a raison. Il a aussi une haute opinion de son parti. Les laisséspour- compte se sentent représentés, d’un coup une voix concrète parle pour eux. Ça résonne, c’est un des mecs qui me plaît le plus.
Hollande ?
J’ai le coeur à gauche. J’aimerais que Léon Blum se présente (rires). Moi, mon boulot, ça n’est pas de militer. Le socialisme, oui, j’y adhère. Après, je pense que la politique reste un peu bloquée. Personne ne propose une idée pour que les gens vivent mieux les uns avec les autres. Certains pensent que la France demeure la cinquième puissance mondiale, c’est pas vrai. Moi je lis Courrier international et je vois que notre campagne n’intéresse personne à l’étranger. Notre taxe à 75 % sur les riches, c’est ridicule. Je ne peux parler que de ce que je connais, et de ce que je vois : des gamins de plus en plus pauvres. On voit des clochards de 20 ans aujourd’hui, je n’ai pas le sentiment qu’il y en avait autant avant. Clochard, ça arrivait aux vieux, normalement. Je sais qu’il y a des files de clodos de plus en plus longues devant le Prisunic à Marx-Dormoy, et c’est terrible ce qui se passe dans leur tête. Il y a une aigreur, un rejet du système. Je ne sais pas exactement ce qu’il faut faire mais ça passe par un truc un peu plus équitable. C’est de la responsabilité de tout le monde aujourd’hui.
Tu as été sollicité par les candidats ?
Par tous ! Dès qu’on me sollicite c’est fini, je n’ai plus envie d’y aller. C’est à moi d’y aller, ce n’est pas à eux de m’appeler. Aujourd’hui, voilà ce que je dirais concrètement : “Votez François Hollande, directement au premier tour”. Voilà ce que je dirais, et je le dis d’ailleurs (rires) : “Votez Hollande, cherchez pas”. Si le film cartonne et si Nicolas Sarkozy a la bonne idée de m’inviter à l’Elysée, je n’irai pas. Ça sera ma manière à moi de dire : “Je ne suis pas d’accord avec votre politique, les mecs.” Quand il a été invité pour Intouchables, Omar Sy a dit qu’il ne pouvait pas venir pour cause de tournage… Il ne pouvait pas planter quatre-vingts personnes ! Malin, Omar ! Je suis trop frontal. Je reste un comique vénère.
A voir Jamel sur scène dans le DVD Jamel au Marrakech du rire (M6 Vidéo, env. 20 €), qui vient de sortir
A lire notre hors-série Franquin, en kiosque le 6 avril
{"type":"Banniere-Basse"}