Mardi, jour de fermeture du Louvre, on pensait être seuls à arpenter les salles du musée. “Heureuse d’avoir le Louvre pour nous, quelle merveille !”, m’avait texté la veille l’actrice Joana Preiss. Mais dès l’entrée, on croise le président Giscard, en visite perso. Certes, on ne le reverra plus lors de notre visite particulière dans […]
Mardi, jour de fermeture du Louvre, on pensait être seuls à arpenter les salles du musée. « Heureuse d’avoir le Louvre pour nous, quelle merveille ! », m’avait texté la veille l’actrice Joana Preiss. Mais dès l’entrée, on croise le président Giscard, en visite perso. Certes, on ne le reverra plus lors de notre visite particulière dans les luxueux appartements de Napoléon III, là où l’artiste belge Wim Delvoye a glissé ses sculptures incongrues – des pneus sculptés façon gothique, des sculptures baroques dédoublées comme un test de Rorschach, des Christ en bronze circulaires et rutilants comme des jantes de voiture.
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Mais tout ça n’intéresse visiblement pas Giscard, qui a toujours préféré le patrimoine ancien à la modernité esthétique prônée avant lui par Pompidou. Allez, au revoir.
C’est un peu tout le contraire avec Joana Preiss : s’avançant dans l’ambiance feutrée et luxuriante des salons du second Empire (« C’est très exotique, on se croirait dans le hall d’un vieil hôtel de luxe, peut-être au Caire »), admirant la tour gothique torsadée que Wim Delvoye a posé sous la pyramide du Louvre, naviguant très à l’aise entre l’ancien et le nouveau, on se dit que Joana Preiss déambule librement entre les diverses formes d’art et qu’elle incarne superbement une idée, intense et sinueuse, de la contemporanéité :
« C’est ma curiosité qui me fait circuler. Et sans doute aussi un désir de liberté, le refus de me laisser enfermer. »
Venue du chant lyrique (« J’ai une voix alto, je voulais être cantatrice, mais pas classique : plutôt John Cage ou Morton Feldman »), passée au théâtre avec l’auteur et metteur en scène Pascal Rambert pendant dix ans, actrice de cinéma avec Christophe Honoré ou Olivier Assayas, mais apparue aussi dans les photos de Nan Goldin qu’elle rencontre à Berlin à l’âge de 19 ans, cette « belle personne » affiche une filmographie d’auteur qu’il faut élargir à la photographie, aux vidéos de l’artiste Ugo Rondinone, voire au mannequinat quand elle a été l’égérie du styliste Nicolas Ghesquière pour Balenciaga.
L’an dernier, l’actrice est passée de l’autre côté de la caméra. Son film Sibérie est un vrai objet de cinéma, doublé d’un dispositif artistique : soit un dialogue visuel entre elle et le réalisateur Bruno Dumont. Le temps d’un voyage en Transsibérien, ils se filment l’un l’autre à coups de minicaméras DV, discutent ou se disputent, amants fictifs ou potentiels, dans un rapport ambigu entre réalité et fiction.
« On s’est rencontrés lors d’un voyage à Novosibirsk, et on a décidé un an après de repartir pour faire un film ensemble. Sans scénario précis : c’est fait sur le vif, comme si l’écriture se faisait au filmage. Puis il y a une réécriture au montage où je réinvente l’histoire. Pour le son très concret des trains ou des villes de Sibérie, je me suis souvenue des journaux sonores que je réalise au gré de mes voyages : je collectionnais plus les sons que les images. Ce film est un aboutissement de choses que j’ai faites avant, d’univers que j’ai traversés. » On en revient à sa libre circulation entre les arts : « Oui, j’aime me sentir libre, mais je fais tout avec intensité dans un état d’immersion totale. Je ne suis pas une passante. »
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