Au premier abord, on dirait un de ses personnages : oeil noir, barbe de trois jours, le sang prêt à chauffer. Mais derrière cette image patibulaire, on sent le type intelligent, sensible, moelle pulpeuse sous écorce rude. Puis agit aussitôt la séduction de son phrasé inimitable déroulant une parole cash. Cette semaine, Jean-Pierre Bacri a […]
Au premier abord, on dirait un de ses personnages : oeil noir, barbe de trois jours, le sang prêt à chauffer. Mais derrière cette image patibulaire, on sent le type intelligent, sensible, moelle pulpeuse sous écorce rude. Puis agit aussitôt la séduction de son phrasé inimitable déroulant une parole cash. Cette semaine, Jean-Pierre Bacri a l’air heureux. Non qu’il voie subitement le monde en rose fluo, juste le bonheur simple de sortir d’un bon film et d’un superbe rôle.
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« Cherchez Hortense est une métaphore sur l’angélisme. On a tous envie que la vie soit Disneyland, mais ça ne l’est pas. On pense que les choses peuvent s’améliorer d’un coup de baguette, mais il y a toute une inertie qui fait que le fort continue à terrasser le faible. Les déçus du socialisme sont en fait des déçus de leur propre angélisme. Pourquoi refuser la réalité du monde ? Les Roms, c’est une question très compliquée. C’est facile de pérorer depuis son canapé, c’est autre chose d’être aux manettes. Si quelqu’un détient une solution idéale pour régler le problème des Roms, qu’il la dise, je pense que ça intéresserait beaucoup de monde, à commencer par François Hollande. »
Bacri évoque l’actualité des Roms parce que, dans le film de Pascal Bonitzer, il joue le rôle d’un prof qui n’ose pas demander à son père d’intervenir pour procurer des papiers à une immigrée clandestine. Un des plus beaux rôles de sa carrière, selon l’acteur, qui ne tarit pas d’éloges (justifiés) sur son réalisateur : « Qu’est-ce qu’il écrit bien, ce salaud de Bonitzer ! Quand j’ai seulement un rôle, explique l’acteur-dialoguiste, j’ai souvent le stylo qui me démange. Là, il ne manquait rien, c’était fin, intelligent. Il m’a complexé ! »
Subtile comédie freudienne, Cherchez Hortense confronte l’idéalisme des bourgeois de gauche et la dure réalité du monde, l’inertie des puissants. Cet écart politique entre l’idéal et le faisable passionne l’acteur, qui embraie à fond, balayant l’idée d’un premier bilan à cent jours de la présidence Hollande.
« Dieu sait que j’adore Mélenchon. Ses discours sont sympathiques, on a envie d’entendre ça, de foutre les financiers dehors, de remettre le pouvoir entre les mains des politiques, mais Mélenchon a l’avantage de ne pas être aux affaires. Et depuis quand on juge un président au bout de cent jours, 1/20e de quinquennat ? C’est quoi, cette mode ? Rien que sur le comportement et l’image, ça nous fait des vacances de ne plus être dirigés par un matamore qui montre ses biceps tous les matins ! J’attends encore avant de juger Hollande, il faut que le Parlement se mette en route, que le gouvernement ait plusieurs mois d’action… »
Bacri est parti, chaud bouillant, avec son fameux ton » ça m’ééééénerve ! », intarissable sur l’Europe, Obama, Wall Street (« on parle beaucoup de la délinquance des jeunes, mais j’aimerais bien qu’on envoie aussi des armées de CRS autour de Goldman Sachs »). Tiraillé entre sa colère devant les injustices, son envie d’un monde meilleur et sa prise en compte de la complexité du réel, l’acteur conclut : « Le monde se transforme lentement. Il faut se faire à l’idée que le progrès avance à petits pas. En ayant conscience de ça, on passe de la déception perpétuelle à la lucidité. »
Serge Kaganski
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