Jeudi 10 mai, tard la nuit? en fait, vendredi 11 tôt le matin.
Aujourd’hui, Bonnaud est heureux comme un labrador. Après des années d’accréditations roses, la couleur de la petite classe moyenne cannoise, et alors que j’ai toujours eu une rose/pastille jaune, soit le niveau 2, le presque sommet, l’aristocratie, il est enfin monté en pastille jaune ! Il a beau dire que cette rose/pastille lui était nécessaire pour raison professionnelle, pour pouvoir accéder aux projos de 15 heures (et ne plus être contraint par celles de 8 heures 30), la vérité est qu’il était un tantinet vexé de se faire coincer à un grade inférieur au mien.
Un bonheur ne vient jamais seul : alors qu’il pensait que sa promo entraînerait automatiquement la mienne, c’est-à-dire qu’on m octroierait la fameuse blanche , l’accrédite des seigneurs, celle qui vous permet de tutoyer Gilles Jacob ou de caresser l’épaule de Nicole Kidman, (et peut-être même d’obtenir un abonnement gratuit pour la saison de l’AS Cannes ou des invites au Midem, allez savoir), eh bien non ! Je reste le compteur bloqué à rose/pastille jaune. Match nul. Et là, Bonnaud a du mal à cacher sa joie immense, il frétille et remue la queue. Con-tent ! Heu-reux, comme un Mulet devant son pastis.
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Bonnaud fait jaser sur la Croisette. Non, pas à cause de la pastille. En raison de son intervention dans le film consacré aux 50 ans des Cahiers. Il y explique que les idées Cahiers se sont répandues, que la revue a gagné sur le terrain de la théorie critique et de l’influence. D’où cette réflexion de Mike Concrete de Positif, croisé dans un café : ?Tout ce que je dis depuis cinq ans sur le triangle des Bermudes est officialisé par Bonnaud, imprimé sur pellicule ? à savoir, les Cahiers sont partout, dans tous les quotidiens. Et dire qu’on me traitait de paranoïaque ! Uh uh uh?. Oui, Mike, l’esprit Cahiers est vraiment omniprésent, au Figaro, à La Croix, aux Echos, au Point, à TF1, au Nouvel Obs’ Et puisqu’on parle de l’Obs, Pascal Mérigeau, fort sympathique confrère, me lance à la cantonade ?dis donc, Bonnaud qui affirme « les Cahiers ont eu raison contre tout le monde », c’est la secte, là, quasiment la Corée du Nord?.
Allons, allons, cher Pascal, la Corée, comme tu y vas’ Bonnaud n’a jamais parlé d’enfermer les non-baziniens ou de torturer les anti-douchettiens, il s’est contenté d’affirmer une préférence (subjective) et une influence (objective) de la revue non seulement en France, mais dans le monde entier ? demande aux cinéastes et cinéphiles du Japon, des Etats-Unis, du Portugal, d’Italie, etc. Cette allégeance aux Cahiers n’est pas aveugle et pavlovienne (dans le même film, Bonnaud critique sans ambiguïté le numéro des Cahiers sur La Liste de Schindler) et elle ne se fait pas non plus nécessairement à l’exclusion des autres publications dont on peut remarquer à l’occasion les qualités, et c’est pour ça que Les Inrocks avaient passé deux pages élogieuses de Bonnaud sur Positif quand la revue avait publié ses facs-similés.
Dire que sur 50 ans, les Cahiers ont été les meilleurs, d’abord c’est la vérité pure et simple, et ensuite, ça ne signifie pas que les autres étaient mauvais. C’est quand même marrant la France, ce pays où dès qu’on affirme un goût, une pensée, un choix, on passe automatiquement pour des talibans. Moi, je dis haut et fort merde !? à tous les ayatollahs du consensus mou et à tous les journaux et critiques couchés devant Amélie Poulain. Na ! Tâclons plutôt Le Monde qui non content de surfer éhontément sur le succès d’Amélie a publié un papier ignoble expliquant que le tournage du film de Jeunet avait contribué à nettoyer le quartier Montmartre, transformant les moches épiceries arabes en jolies épiceries fines françaises. Et le mec (je ne veux même pas me souvenir de son nom) de regretter que le tournage n’ai pas été plus loin parce qu’il reste encore la glauque place Blanche avec tous ses sex-shops. Texto dans Le Monde, quotidien de référence .
Tout cela nous emmène loin de Cannes. Revenons-y, toujours par la presse quotidienne. J’ai croisé Azoury, envoyé spécial de Libé, à la projo de la daube thaïlandaise du jour : bises, nouvelles d’Orphan, blablabla, puis les choses sérieuses. Ça va pas fort dans l’équipe Libé. Bon, c’est Azou qui raconte tout ça, alors on sait qu’il en rajoute une couche, qu’il noircit le tableau, qu’il joue à fond le dandysme de la névrose. Il m a même dit, je vais peut-être revenir aux Inrocks, mais pendant Cannes, ouaf, ouaf, ouaf, sacré Azou ! Ça me rappelle l’année dernière, il pleurait sa mère tous les jours, voulait rentrer à Paris, parce que son ordinateur grillait systématiquement toutes les prises et shuntait tous ses papiers’ Aller mon Azou, tout va s’arranger à la soirée Hots d’or !
Dominique Marchais est en ville. Il vient sélectionner des films pour Belfort. Aujourd’hui, il a vu un film, le splendide Pau et son frère de Marc Recha, et encore, pas en entier, ça lui plaisait pas et il est parti avant la fin. Sacré Dominique. Christophe Musitelli arrive demain. Marchais, Musitelli, Bonnaud et moi, la dream team 97 ! La reformation des Beatles ! Mais dans notre équipe, je ne sais pas qui est Ringo Starr et qui est Lennon. Et encore moins qui est Stuart Sutcliffe.
Ce soir, on était au Veysset (arf ! beau film, très mauvais jeu de mots), puis à la fête Veysset/Quinzaine sur la plage du Galion. Le producteur Humbert Balsan a du user de tout son pouvoir et sa diplomatie pour contourner les gros bras de la sécurité et faire rentrer la fine équipe des Inrocks. Tout le monde a fini par entrer, sauf Mulet ! (Aie, on va avoir droit à trois jours d’insultes). Comment La Mule s’est démerdé pour pas passer, j’ai toujours pas compris. On a bu du Suze/orange, grignoté trois petits fours, serré quelques louches, Ostria a dansé le mambo avec sa prestance coutumière. Le producteur Philippe Avril m a présenté une charmante cinéaste palestinienne ? là, Mulet aurait écrit ?je l’ai tirée vite fait dans les chiottes?, Bonnaud aurait dit ?elle avait l’air amoureuse de moi, mais je suis un grand professionnel, qui plus est fidèle (comme un labrador), et j’ai su rester digne?, mais moi, rien, deux petits mots et calme plat (faut dire que c’est pas évident d’évoquer Gaza dans une teufe cannoise). Des scoops privés, des histoires de cul, des idylles naissantes, des orgies, il y en a sûrement eu plein, mais j’ai rien vu et je suis rentré bredouille à mon hôtel pour rédiger ce putain de journal. Puisque je n’ai pas su choisir entre la projo, la fête et le travail (décision existentielle gouvernant toutes les soirées cannoises), je vais encore terminer ma journée vers 4 ou 5 heures.
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