Le journal du festival, par Serge Kaganski. Samedi 12 mai, 3 heures (du matin).
Aujourd’hui, pendant une accalmie, j’ai lu le Fond de court de Viviant sur Loft Story et ça m a glacé d’effroi. Pas tant le contenu de son papier, malin et bien écrit, comme toujours, mais le fait que certains passages de mes premiers jours de journal ressemblent étrangement à certains passages de son édito. Merde, on va croire que je le pompe ! Or, pas du tout, puisque je vous dis que j’ai découvert son papier aujourd’hui, et puis je ne pompe jamais (sauf parfois les vannes à Mulet pour alimenter ce journal). Je me suis demandé par quel étrange télépathie, deux garçons aussi différents que Viviant et moi avions eu les mêmes idées presqu’au même moment, et puis au bout de deux minutes de réflexion, j’ai compris : Loft Story et le Festival de Cannes, c’est du kif. Sauf qu’à Cannes, on est pas filmés (du moins pas que je sache), et qu’à Cannes, on ne baise pas (du moins, pas que je sache ou du moins, pas moi). Mais l’enfermement hors du monde réel, ce qu’Arnaud appelle le dernier espace de liberté, est le même. Nous sommes enfermés en dehors de Loft Story, comme vous êtes enfermés en dehors de la Croisette. Loana, Aziz, Bonnaud, Mulet, Ostria, même combat.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Je reçois les premiers retours de ce journal. Selon Bonnaud, je raconte rien que des conneries sur lui et il dit que je parle trop de lui. Ça, c’est ce qu’il dit, mais il pense sans doute le contraire (Lacan a très bien analysé ce genre de processus). Ce qu’il pense, à mon avis, c’est qu’il est très heureux, très fier, très content d’être le personnage central de mon feuilleton-journal. Parce que la nature profonde de Bonnaud, hormis buller à Roquemaure sous ses oliviers, c’est d’être au centre d’un entourage et non pas d’entourer un centre. D’ailleurs, il était vert de rage quand il a découvert qu’il n’était pas mentionné une seule fois dans le Journal que Viviant a publié il y a six mois. Là, Bonnaud peut pas se plaindre, il est omniprésent, même si ce web-journal est moins glorieux et moins chic qu’un livre dûment estampillé ?événement dans le sixième arrondissement .
Mulet, lui, me trouve pas drôle du tout. Et il ajoute ?normal, ce connard de pédé (je ne garde que ses insultes les plus douces) de Kagan a jamais été drôle?. Et il a aussi ajouté ?si tu racontes encore des conneries sur moi, je te casse la tête. Enculé !? (je résume). Mais j’ai de la chance, Mulet me parle encore. Parce qu’il n’adresse plus la parole à Bonnaud ? rapport à la fête Veysset où il a pas pu entrer et du coup, il a décidé que le fautif était Bonnaud. Mais aujourd’hui, la Mule file un mauvais coton, essuie un gros coup de calcaire. Au troisième jour de Cannes, il est déjà dans un état de dixième jour. C’est pas normal. Il m a même dit ?je m éclate en bossant, je me fais chier aux fêtes?. Et ça, c’est franchement inquiétant.
Sinon, une lectrice internaute m a emailé pour me dire en substance ceci : vous vous lâchez, c’est pas bien, c’est pas le style Inrocks, il faut respecter la langue française . Ah mais madame, pardon ! S’il y a bien un avantage pour moi dans ce web-journal, c’est justement de pouvoir me lâcher, d’écrire plus vite, comme je parle, sans trop tirer le jus de crâne. J’ignore si c’est intéressant pour le lecteur, mais pour moi, c’est bien plus facile de raconter les frasques à Mulet que de pondre trois feuillets sur le dernier Kiarostami.
A propos du cinéaste iranien, on a vu son docu sur les orphelins sidaïques d’Ouganda, puis on a enchaîné avec un film de guerre bosniaque (mais assez drôle) : c’était la journée mauvaises nouvelles du monde et culpabilité du festivalier. Les films nous regardaient de leur œil meurtri et nous disaient quelque chose comme O toi, noble festivalier, pendant que tu te goberges aux cocktails et aux fêtes, pendant que tu te bats pour entrer aux projos de la petite salle Bazin, pendant que tu te les roules à regarder des films dans le confort, la pénombre et la fraîcheur de la clime, d’autres gens sous d’autres latitudes se gobergent du sang de leurs ennemis, ne connaissent que les cocktails de chez Molotov, mangent de la viande avariée et boivent de l’eau croupie. Pendant que tu dégustes des petits fours, eux dégustent .
Alors, pour noyer notre mauvaise conscience, on est allés au dîner Tinchant sur la plage du Majestic. Ce qui était bien : la musique assurée par des potes à Mulet, le Taraf de Haïdouks en personnes et au complet, la déco chaleureuse, l’ambiance assez festive, papoter avec Branco et Balsan. Ce qui était moins bien : Bonnaud et Mulet qui ne se parlent plus, le manque de places assises aux tables et faire la queue une heure au buffet avec Agnès Wildenstein (de la Cinémathèque) pour que le serveur nous ferme les casseroles au nez (?y a plus rien, terminé !?). Maurice, on t’aime, mais la prochaine fois que t invites mille personnes, prévois pas de la bouffe pour cent. Bonnaud a disparu mystérieusement dans la nuit, je suis rentré à l’hôtel taper ces lignes. Il est 4 heures du mat, Mulet vient de m appeler pour me dire ?Kagan, Cannes, c’est fini?.
{"type":"Banniere-Basse"}