Alors que son Secret Défense est à l’affiche, Jacques Rivette passe en revue une poignée de films actuels, de Titanic à Volte/Face. Celui qui fut un critique d’une précision et d’une rigueur extrêmes demeure aujourd’hui un spectateur compulsif, l’un des rares cinéastes dévorant quasiment tout ce qui sort sur un écran chaque semaine.
Titanic de James Cameron
Je suis entièrement d’accord avec Jean-Luc dans le Elle de cette semaine (numéro du 2 mars, entretien avec Godard) : ce film est nul. Cameron n’est pas un méchant, ce n’est pas une ordure comme Spielberg. Cameron voudrait être le nouveau De Mille. Malheureusement, lui non plus n’est pas metteur en scène pour un sou. En plus, l’actrice est épouvantable, irregardable, c’est la fille la plus débandante qu’on ait vue sur un écran depuis longtemps. D’où le succès auprès des petites filles, surtout les Américaines boutonneuses et un peu trop grosses qui y vont en pèlerinage ; elles peuvent s’identifier et espérer tomber dans les bras du beau Leonardo.
Harry dans tous ses états (Deconstructing Harry) de Woody Allen
Wild man blues de Barbara Kopple m’a aidé à régler mon problème avec lui, à me le faire aimer en tant que personne. Avant, j’aimais bien un film sur deux. Dans Wild man blues, on voit bien que c’est quelqu’un de totalement honnête, sincère et entier, très au premier degré, comme un enfant de 12 ans. Il n’est pas toujours à la hauteur de ses ambitions, et il réussit mieux sur la méchanceté que sur les bons sentiments. Enfin un film américain politiquement incorrect, ça fait plaisir ! Alors que le précédent était consternant de laideur. C’est quelqu’un de bien, et incontestablement un auteur. Ce qui ne veut pas dire qu’il réussit son coup à chaque fois.
Happy together de Wong Kar-wai
J’aime beaucoup. Même si je continue à penser que les grands cinéastes asiatiques sont japonais, et ce malgré l’inflation critique à propos de l’Asie en général et des cinéastes chinois en particulier. Je les trouve habiles et malins, et j’ai le sentiment qu’ils sont un peu trop habiles et un peu trop malins. Par exemple, Hou Hsiao-hsien m’agace beaucoup, même si j’avais aimé les deux premiers qu’on a vus à Paris : je trouve ses films complètement fabriqués et passablement déplaisants, mais très politiquement corrects. Dans le dernier, c’est tellement systématique que ça redevient intéressant mais, pour moi, c’est quand même du truc. Hou Hsiao-hsien et James Cameron, même combat. Alors qu’avec Wong Kar-wai, je passe par des hauts et des bas, jusqu’à Happy together où je vois un film qui me touche infiniment. Là, c’est un grand cinéaste qui prend des risques. C’est Chungking express qui a le mieux marché, alors que c’est un film de détente, plutôt mineur. Mais c’est toujours comme ça, c’est toujours décalé. Pareil pour Jane Campion : La Leçon de piano est le moins bon de ses quatre films, alors que Portrait of a lady est magnifique et tout le monde crache dessus ! Pareil pour Kitano : Hana-bi est le moins bon de ses trois films sortis en France. C’est la règle du jeu. Comme Renoir a eu son plus grand succès avec La Grande illusion.
Volte/Face (Face/Off) de John Woo
Je hais. J’avais déjà trouvé Le Syndicat du crime 1 épouvantable. C’est bête, moche et déplaisant. Broken arrow, je l’avais vu sans déplaisir, mais c’était un pur film de studio, il s’était contenté de remplir son contrat. Alors que je trouve Volte/Face dégoûtant, ça me répugne physiquement, je trouve ça pornographique.
Le Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami
C’est toujours très beau mais le plaisir de la découverte est passé. J’aimerais bien qu’il déplace un peu son territoire, qu’il y ait un peu plus de surprise, qu’on le reconnaisse bien sûr, mais ailleurs… De quoi je me mêle !
On connaît la chanson d’Alain Resnais
Resnais est un des grands cinéastes indiscutables. C’est parfois son fardeau. Là, c’est quasi parfait, c’est un film plein. Même si, pour moi, les grands Resnais restent d’une part Hiroshima et Muriel, d’autre part Mélo et Smoking/No smoking.
Funny games de Michael Haneke
Quelle honte ! Et quelle ordure ! J’avais bien aimé son premier film, Le Septième continent, de moins en moins les suivants. Celui-ci est abject, pas de la même manière que John Woo mais ces deux-là, je les marie. Et je n’irai pas voir leurs enfants ! C’est pire que Kubrick avec Orange mécanique, un film que je hais également non pour des raisons de cinéma mais pour des raisons de morale. Je me souviens qu’à la sortie, Jacques Demy était scandalisé à en pleurer. Kubrick est une machine, un mutant ou un Martien. Il n’a aucun sentiment humain. Ça devient formidable quand cette machine filme d’autres machines, comme dans 2001.
Ossos de Pedro Costa
Je trouve ça magnifique, je pense que Costa est un très grand. C’est beau et fort. Même si j’ai beaucoup de mal à comprendre les relations des personnages entre eux. Comme Casa de lava, on peut le revoir, il y a d’autres énigmes qui s’ouvrent à chaque nouvelle vision.
The End of violence de Wim Wenders
Très touchant. Même si, à la moitié, ça commence à tourner en rond et ça aboutit sur que dalle. Wenders a souvent un problème de scénario, il faudrait qu’il se décide à retravailler avec de vrais écrivains. Alice dans les villes et Faux mouvement étaient des films magnifiques, Paris, Texas aussi. Et sans doute le prochain.
En chair et en os de Pedro Almodovar
Magnifique, un des plus beaux Almodovar, et je les aime tous. C’est un cinéaste beaucoup plus mystérieux qu’on ne le croit. Ce n’est ni un tricheur ni un faiseur. Lui aussi a un côté Cocteau dans sa façon de jouer avec les fantasmes et le réel.
Alien, la résurrection de Jean-Pierre Jeunet
Je n’y croyais pas en y allant et j’ai été passionné tout du long. Sigourney Weaver est vraiment géniale, ce qu’elle fait là rejoint le grand cinéma expressionniste. C’est un film purement plastique, avec un scénario à la fois minimal et incompréhensible, qui réussit pourtant à faire peur tout en étant par moments émouvant. C’est plutôt une situation donnée au départ, et toutes les variations plastiques et émotionnelles qu’on peut en déduire. Ce n’est jamais crapuleux mais inventif, honnête et franc. J’ai l’impression qu’il faut en attribuer le mérite moitié-moitié à Sigourney Weaver et à Jeunet.
Rien ne va plus de Claude Chabrol
C’est un film qui part très bien avant de s’égarer à mi-parcours. Parce qu’il y a un gros problème de scénario : le personnage de Cluzet n’est pas traité. Il fallait se souvenir de l’adage d’Hitchcock et rendre le méchant le plus intéressant possible. Hélas ! Là aussi, vivement le prochain, d’autant que Sandrine (Bonnaire) est dans le coup.
Starship Troopers de Paul Verhoeven
Je l’ai vu deux fois, je l’aime beaucoup, mais je préfère Showgirls. Showgirls est un des plus grands films américains de ces dernières années, c’est le meilleur film américain de Verhoeven et le plus personnel. Dans Starship Troopers, il a mis des effets autour pour faire passer la pilule, alors qu’évidemment, Showgirls est à poil. C’est aussi le plus proche de ses films hollandais. C’est d’une grande sincérité, avec un scénario sans aucune astuce qui est visiblement de Verhoeven lui-même, et pas de ce monsieur Eszterhas qui est nul ! Et l’actrice est stupéfiante ! Comme tout Verhoeven, c’est très déplaisant : il s’agit de survivre dans un monde peuplé d’ordures, voilà sa philosophie. Et Starship Troopers n’est d’ailleurs pas un film fait pour se moquer de l’armée américaine et des clichés guerriers ça, c’est ce qu’il raconte dans les interviews pour avoir l’air politiquement correct. En fait, il adore ces clichés, il y a un côté bande dessinée, un côté Liechtenstein très fort. Et ses araignées sont drôlement réussies et drôlement mieux que les dinosaures de Spielberg. De tous les films américains qui se déroulent à Las Vegas, Showgirls est le seul qui soit vrai, croyez-moi, moi qui n’y ai jamais mis les pieds. Je défends Verhoeven comme je défends Altman depuis vingt ans. Altman s’est trompé dans Prêt-à-porter mais il est allé jusqu’au bout, jusqu’à cette fin qui exaspère le néant qui précède. Il a dû se rendre compte que le milieu de la mode était sans intérêt en commençant à tourner, il aurait bien sûr dû s’en rendre compte avant. C’est un cinéaste inégal mais passionnant. De la même manière, je défends Clint Eastwood depuis le début, j’aime tous ses films, même ses films familiaux où il s’amuse avec un singe débile, et que maintenant tout le monde essaie d’oublier ils font partie de son oeuvre. En France, on lui pardonne presque tout, alors qu’on ne pardonne rien à Altman, qui a pris des risques à chacun de ses films. Tandis que Pollack, Frankenheimer, Schatzberg…, ça n’existe pas. Eastwood ou Altman, leurs films ne ressemblent à personne d’autre, c’est eux : il faut les aimer.
Le Cinquième élément de Luc Besson
Je n’ai pas détesté, mais j’ai été plus touché par Nikita ou Léon. J’attends avec impatience sa Jeanne d’Arc. Comme aucune Jeanne d’Arc n’a jamais marché, et la nôtre non plus, j’attends qu’il fasse perdre à la Gaumont tout l’argent qu’elle a gagné avec Le Cinquième élément. Ça va sans doute être un film très naïf et très enfantin, mais pourquoi pas ? Jeanne d’Arc peut très bien être un film enfantin (à Vaucouleurs, elle n’a que 16 ans), avec les murailles d’Orléans en numérique. Moi je préfère des « petits » décors en vrai que des grands en numérique, mais chacun son goût. Jeanne d’Arc est à tout le monde (sauf à Le Pen), je me suis bien permis de m’y risquer après Dreyer et Bresson. D’ailleurs, Besson n’a qu’une lettre de moins que Bresson ! Il ne manque pas d’air, mais il lui manque le « r ».
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