Longtemps comédien de second plan d’apparence légère, puis scénariste pour Téchiné, Jacques Nolot s’impose comme l’un des cinéastes les plus aigus de l’époque. Confirmation avec La Chatte à deux têtes, loin des tabous.
Une silhouette nerveuse, aux abois, tapie dans l’angle d’une banquette en moleskine dans un café de la Porte d’Orléans. En ce début novembre, Jacques Nolot est écrasé sous plusieurs couches d’angoisse. La première, celle dont il parle immédiatement comme pour en déserrer l’étau, est liée à la pièce qu’il répète, Le Traitement, de Martin Crimp, mise en scène par Nathalie Richard au palais de Chaillot, à Paris. « Je n’avais pas joué au théâtre depuis dix ans. C’est terrible. » Quelqu’un qui découvrirait Nolot à cet instant serait mortifié par la terreur qui crispe son visage. Ceux qui l’ont suivi depuis ses débuts de comédien à la fin des années 70, puis ses premiers pas d’auteur (pour d’autres cinéastes d’abord, pour lui ensuite) et jusqu’à La Chatte à deux têtes, savent que cette angoisse, Nolot en joue en alchimiste. C’est son matériau, son moteur. Les mauvaises langues diraient que c’est son fond de commerce, sa façon de séduire, jusqu’au cabotinage.
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On n’ira pas jusque-là. Cette angoisse est sa marque de fabrique, bien réelle. Il ne la crée pas. Seulement, il ne se contente pas de la subir, il sait la canaliser, la dompter, la transformer en autant de compositions, de sujets, de projets. « Je ne peux écrire qu’en état de crise. Je sais que ça peut sembler le pire des clichés mais pourtant c’est vrai. Je n’écris qu’à la mort d’un proche, ou quand je suis au bord du suicide. C’est névrotique, viscéral. Ce n’est pas moi qui vais vers le sujet. C’est le sujet qui vient à moi. Dans ces moments-là, il faut toujours que j’aie un papier et un crayon à portée de main. Ça peut me prendre au milieu de la nuit, en voiture, dans la rue. Ça vient comme ça, par jets, dans un état presque inconscient. C’est un plaisir totalement masochiste : il y a autant de joie que de souffrance. » Et surtout, à l’arrivée, il y a des films, et pas n’importe lesquels. Avant de passer lui-même à la réalisation avec L’Arrière-Pays en 1998, Nolot a fourni des scénarios à André Téchiné La Matiouette (1983), J’embrasse pas (1991) , mais aussi à Paul Vecchiali Le Café des Jules (1988) et même à Claire Denis La Robe à cerceaux (1992). A chaque fois, des sujets purement autobiographiques qui, comme les pièces d’un puzzle, permettent de recomposer la vie de Nolot. Son enfance ? On comprend dans L’Arrière-Pays que Jacques a été élevé dans le Sud-Ouest par un père qui n’était pas le sien. « Dès le début, le mensonge. Alors, j’ai tout inversé : pour moi, la vie, c’est du théâtre et du cinéma. Et donc le cinéma et le théâtre doivent être la vie. » D’où ce masque, souvent frivole, qu’il apprendra à porter pour se protéger. Mais sous le masque, rien ne lui échappe.
Ses débuts à Paris ? Dans J’embrasse pas, le héros quitte son Sud-Ouest pour la capitale, où il nouera des relations avec des « personnes très compréhensives ». On peut aussi écrire plus clairement qu’il devient gigolo. Nolot n’est pas du genre à dissimuler ce genre d’épisode biographique. « Avec le recul, j’en suis même fier. J’ai rencontré des gens merveilleux, que je n’aurais pas connus sans ça. » C’est l’époque de l’argent facile. Et des premiers cours de théâtre. « J’arrivais en cours en Mercedes. J’étais le parfait petit con. J’ai commencé à m’améliorer quand j’ai vendu la Mercedes. Il y a des décisions que vous prenez qui ont l’air anodines et qui sont essentielles. Il était temps : à 25 ans, je me sentais déjà très vieux. »
Commence alors une carrière de comédien dit « de second rôle », celui dont on reconnaît la silhouette d’hidalgo à moustache et aux cheveux gominés de film en film, sans forcément se souvenir de son nom. Peu importe : « La célébrité, il faut vraiment la désirer, c’est une deuxième carrière. » La reconnaissance viendra plus tard, avec l’écriture. Son premier texte adapté, la pièce La Matiouette, le sera par Téchiné, qui lui a donné un rôle dans presque tous ses films. Mais entre Nolot et Téchiné, les ego s’affrontent. A l’époque, on dit que Nolot fait des expériences, et que Téchiné en fait des films. Et sur J’embrasse pas, Nolot voit son scénario lui échapper. « Aujourd’hui, je sais qu’André a eu raison de le ramener à ses propres exigences. Mais il y a entre André et moi une rivalité fraternelle. »
C’est Roland Barthes qui a présenté Nolot à Téchiné. « Barthes aimait beaucoup ma fraîcheur : je découvrais tout et je lui faisais partager mon enthousiasme. » Sous ses airs légers, Jacques a en effet noué de grandes amitiés. « Quand j’étais jeune, quelqu’un m’a dit : « Jacques, tu es fait pour rencontrer des gens intelligents parce que sinon, tu ne seras pas compris. » On peut lui retourner le compliment. Les sujets qu’il aborde sans le moindre tabou, en allant directement en chercher le c’ur le plus sensible, font de lui un grand frère idéal. On rêverait, comme lui à l’aube de la soixantaine, d’avoir accepté les accidents de la vie avec autant de générosité. Le dur métier de vivre, Nolot en fait un art absolu.
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