Six mois après la fin du tournage de Petits frères, les cinq héros du film, IIiès, Mous, Nassim, Rachid et Stéphanie, se retrouvaient à l’écran lors d’une avant-première à Pantin. Entre fierté, sérieux et envie de témoigner sur leurs galères à eux.
D’abord, il y a le grand, Iliès, celui qui parle le plus et répond sans ciller aux questions de la salle. Ensuite, il y a les copains épars dans les rangées de fauteuils, qui chahutent et sifflent dans le micro. Et les quatre autres héros du film de Jacques Doillon, assis en rang d’oignons sur l’estrade du cinéma Le 104, à Pantin, à l’issue d’une avant-première. Dans un coin, le réalisateur regarde en souriant ses jeunes acteurs prendre la parole et séduire la salle. « Je vous passe Mous ! », rigole Nassim en lui lançant le micro. Echange de vannes, couinements de rires, timidité de Stéphanie, la seule fille du lot, chambrée par un inconnu qui voudrait parler à « Pamela Anderson ». La jeune fille, implacable, le snobe. Sourire protecteur de Nassim, qui lâche « C’est une Chinoise » en pensant à ses yeux. Dans le public, des éducateurs de la cité voisine des Courtillières (où a été tournée une grande partie du film) protestent contre les situations de prédélinquance filmées par Doillon : combats de chiens, trafic de pitbulls, achat d’un gun à grenaille, vol de la mob d’un livreur de pizzas, fuite devant l’arrivée de la police… Film de joie et d’enfance, Petits frères dit aussi la violence de la rue et l’absence des adultes.
Etonnement inquiet de la part des spectateurs, gênés par ce mélange de réalisme documentaire et de fiction heureuse. « Mais vous, dans la vie, vous avez déjà eu une arme entre les mains ? », s’alarme un adulte. Rires moqueurs des gosses. « Vas-y, dis-lui que tu tires tous les jours ! »
Histoires d’images et de clichés. De la bonne entente qu’autrui a de l’image de soi. « A un moment, je dis dans le film que plus tard je vendrai de la drogue. Mais c’est pas sûr, on sait jamais ! », commente un peu plus tard Mous, tout en rêvant du « bon chemin » que pourrait prendre sa vie.
Anti-sauvageons, les adolescents qu’a choisis Jacques Doillon pour son film vivent en cités ou en foyers. Des acteurs non professionnels qui ont nourri Petits frères de leur langue, de leurs vies froissées et de leurs inquiétudes. Stéphanie, 14 ans, raconte comment un jour le réalisateur est venu rencontrer les pensionnaires de sa maison d’enfants dans le 95. Le sourire fier, éclatant, elle se souvient des essais à tourner, du texte à apprendre, de sa réussite et de l’admiration des gens à l’évocation du nom « Doillon » : « Il m’a choisie pour mon caractère. » Lors du tournage, elle découvre les Courtillières, les mômes qui la matent puis deviennent ses potes. Des gosses qui passent l’été « assis sur leur banc à rien faire ». Soupir d’ennui. Tournage pendant les vacances scolaires avant de repartir pour son foyer de Saint-Ouen-l’Aumône, faire sa quatrième. Dans le film, « Jacques » la montre tour à tour victime et agresseur, dépouillée de sa chienne et braqueuse improvisée d’un studio bourgeois. « Mais dans les cités, la violence, c’est pire que ça. » En voyant le film, sa mère lui a bien glissé « C’est canaille ! » Mais Stéphanie se retrouve dans ce personnage qui parle comme elle, fruit de nombreuses conversations avec le réalisateur. « Il nous a laissés faire. Et il le dit lui-même, il nous a volé nos mots. Lui, il parle en vieux français ! » « Il ne faut pas confondre les films de comédiens professionnels et les films d’acteurs », explique Doillon en discutant avec le public. Iliès, 15 ans, a tout compris. Copain de Rachid, autre acteur du film, il rencontre le réalisateur après s’être fait repérer au cinéma MK2 de Stalingrad pour resquille insistante. « On voulait montrer aux gens des villes comment c’est dans la cité. » Paroles calmes, polies, à la formulation heurtée, encore plus âpres. « Pour nous, c’était la galère avant le film. C’est la galère après le film. Il faudrait faire plus de films comme ça pour que les gens comprennent. » Silhouette imposante sous sa grosse doudoune, Iliès énumère pêle-mêle le retard scolaire, l’entassement des familles dans des pièces contiguës, les mères qui se lèvent à 6 h pour faire le ménage des autres. Liste pudique et saccadée des malheurs de la vie. Difficulté de partager ses nouvelles joies d’acteur : ses parents n’ont pas vu le film, ils ne parlent pas français. Plus tard il veut être pharmacien. « Il ne faut pas croire que parce qu’on a fait un film, on est riche et heureux », lui fait en écho Rachid, 13 ans, à la bouille encore enfantine. « La Haine, Raï, c’était des films sur les grands frères. Mais les petits frères, ils sont importants dans la cité. C’est eux qui font tout. Les grands, ils se lèvent à midi. »
Dans la salle, une voix vole soudain au secours des quatre acteurs : « Tout ce qu’ils vivent, nous aussi on l’a vécu. Et on a bien fini. »
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