Le comédien est à l’affiche simultanément au théâtre et dans le film de Jacques Rivette. Portrait d’un bel original.
Il ne tient pas en place. L’un de ses metteurs en scène, Joël Jouanneau, dit même qu’avec lui le travail consiste à gérer son “agitation”, sa démesure. D’ailleurs, Jacques Bonnaffé, que l’on découvre cette semaine en auguste dans le nouveau film de Rivette, le reconnaît : il faut savoir canaliser son énergie naturelle. Grâce à sa longue pratique du vélo, il a lui-même appris à garder des forces, à en avoir toujours “un peu sous la pédale”, comme disent les cyclistes…
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Même assis, Jacques Bonnaffé ne cesse de gigoter, de se mordre les lèvres. A la fin de l’interview, il filera voir le nouveau film des frères Larrieu sur son vélo ultrapliable Brompton. Ses yeux bleus semblent toujours chercher ailleurs la réponse à la question qu’on lui pose. Il n’aime pas les dates, pas beaucoup raconter sa vie, préférerait qu’on oublie la chronologie des événements. Depuis trente ans, Jacques Bonnaffé a eu ce qu’il appelle la “chance” de toujours travailler, passant du théâtre au cinéma comme si de rien n’était.
Né en 1958 à Douai, Bonnaffé est donc un Ch’ti. Il en a fait un spectacle il y a quelques années, Cafougnette et l’défilé, d’après Les Histoires de Jules Mousseron, en patois. Enfant, il s’ennuyait. C’est sa magie qui l’a immédiatement séduit dans le théâtre, et ces êtres bizarres, les acteurs, qui veulent à la fois “se montrer et se cacher”. Dès l’âge de 12 ans, il sait que le théâtre, c’est “(son) truc”. Entre le théâtre et le cinéma, il ne choisira jamais (“c’eut été se priver de la moitié du plaisir”, sourit-il).
Après des ateliers théâtre, il entre au conservatoire de Lille. C’est la fin des années 70, et Bonnaffé expérimente tout – théâtre de rue, happenings. Il conçoit déjà l’art de l’acteur comme “une indiscipline” et le théâtre comme le lieu où il faut à la fois aimer “récolter les tomates et les applaudissements”. Il ne faut pas avoir peur de “déchoir”, répète-t-il. Il aime les mots, remplir des bistrots pour les dire devant dix spectateurs ou des théâtres devant cinq mille. Il pense aussi que, cinquante ans après Vilar, il faut “décentraliser la décentralisation du théâtre”. Lui, il va partout, dans les salles des fêtes des plus petits villages, les bistrots, dans les petits festivals, se voit comme un “colporteur, un trouvère”.
Au cinéma, on l’a découvert dans les années 80. Après Anthracite d’Edouard Niermans, Bonnaffé tourne avec Jean-Luc Godard dans Prénom Carmen, parangon de la modernité. Quand il explique qu’il redoute les metteurs en scène de théâtre qui arrivent le premier jour de répétition en proclamant “J’ai joué toute la pièce hier dans mon salon, je sais comment il faut la jouer”, on comprend qu’il a encore en lui quelque chose de JLG… Après Godard, il tourne avec Garrel (Elle a passé tant d’heures sous les sunlights), Jacques Doillon (La Tentation d’Isabelle)… En 1990, on le voit dans le culte La Campagne de Cicéron de Jacques Davila (qui, bonne nouvelle, va bientôt ressortir en salle !).
Au théâtre, Bonnaffé s’est illustré notamment sous la direction de Gildas Bourdet, Christian Rist, Alain Françon, Jean-François Peyret ou Denis Podalydès. Mais aussi dans ses propres créations : 54 x 13 d’après Jean- Bernard Pouy, ode désopilante à la course cycliste – un de ses dadas avec le jazz –, Passages, sur des textes de Rimbaud, Jacques Two Jacques, sur des textes de Jacques Darras… Il est aussi un coach phénoménal dans L’Instrument à pression de David Lescot, face au cornettiste Médéric Collignon.
Dans les années 90 puis 2000, on le reverra au cinéma dans des rôles parfois secondaires mais marquants, comme celui du militant d’Act Up de Jeanne et le garçon formidable de Ducastel et Martineau (1998), du mari borgne de Nathalie Baye dans Vénus Beauté de Tonie Marshall (1999), de l’ex-mari de Jeanne Balibar dans Va savoir de Jacques Rivette (2001), dans celui du professeur de philo des Amitiés maléfiques d’Emmanuel Bourdieu (2006). En tout, plus de quatre-vingt films.
Il va bientôt reprendre L’Oral et Hardi, montage de textes du poète belge Jean-Pierre Verheggen au Théâtre de la Bastille, puis, en octobre, Sous l’oeil d’OEdipe, monté par Joël Jouanneau et présenté cette année à Avignon. Sa compagnie, la Compagnie Faisan, a remporté un Molière en 2009… En ce moment, il accompagne Rivette (qu’il admire énormément – mais comment pourrait-il en être autrement, puisqu’ils ont tous deux en commun le goût pour le mariage entre théâtre et cinéma) à la Mostra de Venise ; il en profitera pour visiter la Biennale… Il n’arrête pas, on vous dit.
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