Narration nerveuse et ligne claire du découpage, le cinéaste réussit un polar paranoïaque dans la lignée de The Ghost Writer, et servi par une distribution au diapason.
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Après le ratage du film précédent de Roman Polanski, D’après une histoire vraie, J’accuse, son nouvel opus adapté d’un livre de Robert Harris (également coscénariste du film), est une rafale de bonnes surprises. La première n’est pas la moins importante : le spectateur n’a jamais le sentiment que le réalisateur tire la couverture à lui, c’est-à-dire que, fort heureusement, Polanski évite de transformer cette variation sur l’affaire Dreyfus en plaidoyer pro domo.
Cela ne suffit pas forcément à faire de J’accuse un grand film mais c’est tout de même un soulagement, compte tenu de son sujet même. Plus fondamentale, la deuxième bonne surprise c’est que le nouveau Polanski réussit à nous replonger dans une histoire qu’on croyait bien connaître mais qu’on redécouvre littéralement grâce à un récit presque aussi captivant que celui de The Ghost Writer ou de Chinatown. Ça signifie que J’accuse est avant tout un très bon polar ou film d’espionnage dans lequel, comme souvent chez Polanski, les paranoïaques finissent forcément par avoir raison.
https://youtu.be/auphd-Bvzi0
Sorte d’OSS 117 à l’envers
Le paranoïaque en question n’est pas le capitaine Dreyfus mais le colonel Picquart qui devient l’instrument de la réhabilitation d’un homme accusé à tort de haute trahison et d’espionnage. Le véritable héros du film c’est donc bien Picquart dont on suit, avec une excitation inattendue, l’enquête haletante et le duel, au sens moral mais aussi physique du terme, qui l’oppose peu à peu à son adjoint, Hubert Henry (Grégory Gadebois qui trouve ici son meilleur rôle).
Jean Dujardin, comme une sorte d’OSS 117 à l’envers, incarne Picquart avec une rigueur et un sérieux qui finirait presque par être gênant. Mais, en réalité, au diapason de l’esthétique du film, il transforme le commandant en un personnage de bande dessinée, au sens le plus noble du terme. C’est d’ailleurs son côté ligne claire qui donne son charme et sa forme à J’accuse. Ce qui permet à Polanski d’éviter, avec une aisance certaine, l’écueil d’une vision scolaire et compassée.
De ce point de vue, J’accuse est beaucoup plus proche d’un album de Tardi ou de Hergé que d’un docu pédago. Le rythme et l’élégance du découpage, dont Polanski demeure un maître, sont pour beaucoup dans l’impression de fraîcheur que dégage le film. Le cinéaste parvient même à donner une dimension ludique à ce récit pourtant lesté de significations historiques fondamentales et finalement très actuelles. Polanski ne tombe jamais dans le piège de l’emphase et demeure absolument concret jusqu’à la résolution finale.
Rigueur administration
Il serait difficile ici de décrire par le menu les faits et gestes des nombreux personnages du film ou de conter les péripéties qui rythment ce récit. D’autant plus qu’il faut évidemment laisser la surprise au spectateur. Au-delà d’une narration nerveuse, ce qui passionne ici c’est aussi le goût du détail et, par exemple, la manière dont les personnages principaux sont plongés dans un océan de papiers qui pourraient menacer de les engloutir. Ces papiers, omniprésents dans J’accuse, ont d’abord un poids, une matérialité, presque une présence qui amplifient leur signification.
Car, ici, tout est affaire d’administration, au sens de classement mais aussi d’interprétation ou de dissimulation. Quelque chose se joue dans une palpitante ronde de bureaux, poussiéreux ou luxueux c’est selon, qui donne toute sa réalité à cette affaire de grade, de hiérarchie et d’honneur.
Malgré un défilé de têtes bien connues (de Denis Podalydès à Mathieu Amalric, en passant par Louis Garrel, Melvil Poupaud ou Damien Bonnard, tout le cinéma français est convoqué ou presque) qui frôle le trop-plein, Polanski ne tombe jamais dans la caricature ou dans un antimilitarisme facile. Il montre frontalement l’antisémitisme domestique d’une grande partie de l’armée française, non comme une particularité mais plutôt comme un reflet d’une partie importante de la société française. Tout en mettant au premier plan la richesse de son récit et l’excitation qu’elle procure à son spectateur, c’est pourtant bien la banalité du mal que filme patiemment Polanski dans J’accuse.
J’accuse de Roman Polanski avec Jean Dujardin, Louis Garrel, Grégory Gadebois, Melvil Poupaud, Mathieu Amalric, Denis Podalydès (Fr., 2019, 2 h 12)
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