Nouvelle dénonciation des méfaits du libéralisme. Mais à travers un passionnant personnage, un peu atypique dans l’univers de Loach.
Après avoir reçu les honneurs de Cannes, le productif Ken Loach rempile illico, plus que jamais attentif au cours du monde. It’s a Free World! nous dit le titre original (heureusement maintenu en France), dont l’ironie à double sens annonce d’emblée la cruelle contemporanéité de son sujet : la libre et aliénante économie de marché. Sous des allures plus modestes que la fresque historique déployée par Le vent se lève, It’s a Free World! est loin d’appartenir à une veine mineure du cinéma de Loach. Pourtant, les apparences sont d’abord trompeuses : une énième victime combative prend place dans le monde en lutte du cinéaste, que l’on soupçonne de réchauffer sa bonne vieille recette de réalisme social. Trentenaire, mère d’un garçon qu’elle a confié à ses parents le temps d’améliorer sa situation, Angie (la belle découverte de Loach : l’endurante et sexy Kierston Wareing, entre Kate Moss et Pamela Anderson) se fait licencier de la boîte d’intérim dans laquelle elle bosse pour ne pas avoir répondu aux avances de son supérieur. Pleine de ressources, la jeune femme décide de monter sa propre boîte, même si ça doit se faire dans un premier temps à la sauvage, dans la cour d’un café, et dans l’illégalité la plus totale. Pour cela, elle n’hésite pas à compromettre sa responsabilité de mère et à jouer gentiment de ses charmes auprès des futurs employeurs en faisant descendre jusqu’en bas de son décolleté la fermeture de son blouson de motarde. Progressivement, on se rend compte qu’Angie n’est pas toujours un ange, et marque la mise en avant d’un personnage un peu atypique dans l’univers de Loach, qui en temps normal se serait davantage intéressé aux travailleurs immigrés embauchés par la jeune femme. Cet angle de vue nouveau et passionnant, placé au plus près des contradictions du monde moderne, bouleverse les schémas moralisateurs et les aspirations héroïques du cinéaste : il ne peut soutenir bec et ongles la cause d’Angie tout le long du film, et pourtant il la suit dans sa course échevelée contre le système en essayant de comprendre l’engrenage infernal qui la happe, d’intégrer intimement sa complexité et ses vices, c’est-à-dire la façon dont peuvent être repoussées, mine de rien, les limites de l’éthique. A ce titre, le film, aussi étonnant qu’effrayant de lucidité, opère un véritable tour de force. Loach est loin de s’enliser dans un système et semble au contraire soucieux de s’accorder le plus justement possible aux discordances du monde, quitte à bousculer ses propres repères et à commettre quelques maladresses. C’est ce qu’on appelle se mouiller.
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