L’inoubliable interprète de 4.48 Psychose évoque le metteur en scène disparu jeudi dernier, qui l’a dirigée deux fois.
« Je ne me souviens plus précisément de ma première rencontre avec Claude Régy. C’était sans doute au moment de notre collaboration pour Jeanne au bucher en 1992. Peut-être avant, je ne sais plus. Je dirais qu’on s’est rencontrés parce qu’on devait se rencontrer.
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Je me souviens en revanche très bien, dix ans plus tard, lorsqu’il m’a contacté pour me parler de son enthousiasme en découvrant le texte d’une jeune auteure anglaise, Sarah Kane, et de son désir impérieux de monter au plus vite 4.48 Psychose
. Ce texte a été une rencontre fondamentale pour lui. Il a trouvé dans l’écriture de Sarah Kane cette langue heurtée, qui se dépose par bribes sans qu’on ne comprenne tout à fait comment, qu’il cherchait déjà dans les textes de Gregory Motton ou Jon Fosse.
« Il faisait du théatre différemment »
C’était un chercheur Claude Régy. Il voulait dévoiler des choses qu’on ne voyait pas, donner à voir l’invisible, faire entendre ce qui n’arrive pas à se dire. Il faisait du théatre différemment. Il pensait qu’il fallait tuer le théatre pour que quelque chose advienne. Pour cela, il avait développé une façon de travailler très précise, très patiente, et aussi extrêmement aventureuse. Il ne savait jamais complètement où il allait, avançait sans dessin trop précis. D’une certaine façon, sa méthode était le contraire de celle de Bob Wilson, qui va très vite. Claude faisait énormément répéter, organisait beaucoup de lectures. Pour 4.48 Psychose, on s’est vraiment énormément vus avant pour travailler sur le texte. Évidemment, il ne cherchait pas à l’expliquer. C’est un texte qu’il faut ressentir en acceptant de ne pas le comprendre. Tout l’enjeu était de travailler sur le sens caché de mots sans jamais figer aucune signification.
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Depuis l’annonce de sa disparition, on entend beaucoup certains mots comme « ascèse », « exigence », « minimalisme ». Il y a un risque à ce que ces qualificatifs recouvrent le travail de Claude et en renvoient une idée fausse. Il y avait bien sûr une très grande radicalité dans son écriture scénique, un goût de l’épure, une forme de cérébralité, mais qui, de mon point de vue, ne renonçait pas au spectacle. Claude aimait utiliser tous les artifices du théatre : les jeux de lumière, la scénographie, les costumes. Il le faisait avec une rigueur toute particulière, mais il visait aussi à ce que le spectateur éprouve une émotion propre au spectacle.
Il avait une passion particulière pour ces zones où les contraires deviennent indiscernables. Il était passionné par le questionnement du masculin et du féminin chez Sarah Kane, mais aussi la circulation entre le monde des vivants et celui des morts, ou encore la façon dont s’interpénetrent le sensible et l’abstrait. Ce questionnement sur le sensible et l’abstrait trouvait sa résolution idéale chez l’acteur, ce corps-outil traversé par de la pensée, chair et idée. Il adorait les acteurs. Je me souviens avoir vu très jeune La chevauchée du lac de Constance, d’après un texte de Peter Handke. Je ne connaissais pas encore très bien le théatre contemporain et je garde un souvenir ébloui de ces comédiens immenses sur scène : Jeanne Moreau, Delphine Seyrig, Gérard Depardieu, Michael Lonsdale, Sami Frey… Jusque dans ses spectacles les plus récents, son travail avec les comédiens était exceptionnel. Et puis bien sûr, c’était infiniement agréable de travailler avec lui. Il était en tous points délicieux, attentionné, plein d’humour. Je garde de notre travail ensemble un souvenir merveilleux. »
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Propos recueillis par Jean-Marc Lalanne
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