ISAAC JULIEN YOUNG SOUL REBELS (1991) ; LOOKING FOR LANGSTON (1988)
(BQHL Editions, environ 30 et 25 e)
Découverte d’un auteur totalement original, dont l’œuvre hybride oscille entre blaxploitation, film musical et cinéma expérimental.
LES FILMS : Il y a sans doute une raison profonde au fait qu’en France le statut d’Isaac Julien soit inversement proportionnel à son importance dans les pays anglo-saxons. En Angleterre, où il est né il y a quarante-cinq ans, mais aussi à New York où il séjourne régulièrement, Issac Julien est considéré comme un animateur tous azimuts des cultures gay et black.
Interdisciplinaire et indiscipliné, il est tout autant réalisateur de fictions, de documentaires, de films expérimentaux, artiste contemporain (deux de ses installations sont visibles à Beaubourg à l’expo Africa Remix), théoricien, critique, agitateur…
En France, où l’on aime qu’un universitaire ne soit pas un artiste et qu’un artiste ne soit surtout pas cinéaste, il n’est rien. C’est le minoritaire parmi les minoritaires, ce qui tombe à pic, puisque l’agencement des minorités reste son grand sujet. Ses films n’ont pas de sortie systématique, et quand cela arrive à l’un d’entre eux (Young Soul Rebels au début des années 90 et Frantz Fanon en 1996), ils apparaissent dans leur plus simple appareil : noirs toujours, et séduisants tout le temps, mais toujours trop isolés du chantier à grande ampleur dont ils sont les fondations.
C’est encore le cas avec ces deux DVD : pas de bonus pour expliquer en peu de mots qui est Isaac Julien, ce qu’il vise depuis vingt-cinq ans de travaux théoriques maintenus, et en quoi il n’est ni un Julian Temple folle ni un Guy Maddin afro. Cela dit, un peu de virginité dans le regard ne nuit pas pour autant à la découverte, si c’est le cas, de ses films. Ils ont suffisamment de légèreté pour passer la rampe.
Young Soul Rebels par exemple, qui secoue le marronnier punk en donnant une vision carrément décentrée de la fameuse journée du jubilé de la reine en 1977. Les punks chez Julien sont encore des petits Blancs fardés en Vivienne Westwood beuglant « Anarchy in da UK » tout en signant chez EMI.
Les vrais minoritaires, ce sont les prolos noirs amateurs de soul et de rough disco, de p-funk : toute cette scène biberonnée à Salsoul, Roy Ayers, Parliament, War ou Sylvester, qui n’a même pas droit au scandale sur la BBC, juste au mépris de tous, à des bloc parties clandestines, à des émissions pirates émises sur deux kilomètres à la ronde et à un cassage de gueule en règle hebdomadaire par les skinheads de service.
Tout cet aspect documentaire est passionnant, le film a beau dater de 1992, il ne sent jamais le costume. Dommage juste qu’Isaac Julien, dans la tradition blaxploit, ait tenu à saupoudrer le tout d’une histoire de tueur de gay dans les spots pédés qui fait chuter l’intensité soulful du projet chaque fois que le film espère se changer en polar.
Réalisé trois ans avant, Looking for Langston est un poème expérimental militant de cinquante-cinq minutes reprenant l’histoire des homosexuels noirs new-yorkais à son point de naissance, la Harlem Renaissance, une époque entrevue via des poèmes de Langston Hugues et James Baldwin. On pourrait croire, avec ses images d’archives incroyables et son jazz primitif, à une simple évocation du milieu gay des années 20, mais quand, dans un raccord sidérant, le même dancing bouge soudainement sous les beats acid-house du Can You Feel It de Mr. Fingers, on sait que soixante-cinq ans de clandestinité viennent de rentrer en collision temporelle accélérée.
Hormis cela, Looking for Langston est une variation du Sang d’un poète de Cocteau. Il reprend les images, les transforme les fétichisant davantage , les noircit : c’est comme si Féral Brenga, l’Ange noir du film, avait retiré la caméra des mains de l’auteur des Enfants terribles pour s’en emparer. Et en faire sortir un sang noir d’encre. Cocteau aurait adoré.
LES DVD : On l’a dit, pas de bonus.
Philippe Azoury
Les films d’Isaac Julien sont programmés à Beaubourg, durant l’exposition Africa Remix, jusqu’au 15 août.
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