Les Coen retrouvent punch et sens de l’humour pour une comédie souvent irrésistible sur les mariages vénaux. Une satire sociale qui bénéficie du supplément d’âme de l’extraordinaire George Clooney.
Avec les frères Coen, on ne sait jamais trop sur quel pied danser. Ils font penser à ces pianistes capables de vous jouer un morceau dans le style de n’importe quel jazzman avec un mimétisme confondant, mais qui sont bien incapables d’avoir leur style propre. Le style des Coen s’ils en ont un ressemblerait plutôt à un ensemble de tics : violence joyeuse, humour BD, distance froide, absence totale de sentimentalité ou, en tout cas, doute sur la nature de leurs sentiments à l’égard de leurs personnages et de ce qui leur arrive s’en moquent-ils ? qu’en pensent-ils ?
D’un film l’autre, le mystère reste entier, et nos deux lascars, avec le temps, n’ont jamais réellement réussi à concrétiser les espoirs qu’on avait placés en eux, à cause de cette froideur qui laisse après coup une impression de vide. Alors, les Coen, de bons faiseurs, des petits-maîtres, ou des grands cinéastes cachés parce que modestes ?
Disons-le tout de suite, Intolérable cruauté ne nous aide pas à trouver une réponse. Une fois de plus, Joel (le réalisateur) et Ethan (le producteur et coscénariste) font preuve d’un talent incontestable à réaliser un bel objet et à se plier, cette fois-ci, aux codes de la comédie et des films de procès, genres bien américains. Intolérable cruauté est donc un film brillant, drôle, rythmé, qui tient toutes ses promesses de spectacle : scénario béton, acteurs brillantissimes, sens du récit indiscutable, mise en scène élégante et travaillée (les Coen ne bâclent rien, se creusent la tête pour rendre la moindre scène intéressante, pour trouver une idée de mise en scène qui lui donnera du relief).
Mais quoi d’autre ? Pourquoi restons-nous quand même sur notre faim ? Parce qu’il manque à tout ce travail de titan une chose essentielle, qu’il est bien difficile de formuler. Tentons une comparaison : Lubitsch, lui aussi, c’est bien connu, était un travailleur du scénario et de la mise en scène forcené, ne succombant jamais à la facilité. Mais il possédait une qualité ou un défaut rare dont les frères Coen à en croire leurs films semblent totalement dépourvus : une naïveté, une mélancolie, des sentiments donc, des failles si l’on veut, qui s’expriment souvent dans les silences, qui font qu’on a l’impression d’avoir affaire à un être humain.
Jusqu’à quel point les Coen s’investissent-ils dans ce qu’ils racontent ? Qu’est-ce qui les intéresse vraiment ? Si l’on s’en tient au seul scénario du film, évidemment, il contient une critique rageuse du système judiciaire américain et une vision très cynique de l’humanité. Mais quoi d’autre, en dehors de ce qui est visible à l’écran ? Il suffirait de si peu. Bref, on rit, mais on reste un peu glacé par tant d’incapacité à exprimer la moindre empathie à l’égard des personnages mis en scène, comme s’ils ne devaient rester que des marionnettes, à jamais, sans aucun espoir de devenir des êtres auxquels on pourrait s’identifier. Les frères Coen, ou le Grand-Guignol sans âme, étouffant. Cela dit, Billy Wilder n’a-t-il pas essuyé le même type de reproches en son temps ?
Mais soyons honnêtes. Il y a un élément dans le film qui contredit tout ce qu’on vient d’énoncer : George Clooney. Si une star est quelqu’un qu’on a l’impression de connaître comme si on l’avait fait, Clooney est une star. A l’instar d’un Cary Grant, il distille une telle capacité à n’être pas tout à fait dupe de lui-même, à garder une distance nonchalante avec son personnage et à se moquer de son physique, que sa seule présence dans le plan suffit à provoquer notre jubilation et à apporter de la vie au film.
Un exemple : lors d’une des scènes de procès, l’avocat qu’il interprète se lève pour interroger le témoin (Catherine Zeta-Jones). L’espace de quelques secondes, le temps qu’il s’approche de la femme vénale et alors que nous savons, sans vraiment savoir comment, qu’il va contrecarrer les plans de la belle , Clooney ne fait rien, rien d’autre que nous laisser prendre notre souffle avant son coup d’éclat. En cet instant, il est extraordinaire, et le film respire.
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