Le parcours de soldats
nord-africains durant la Seconde
Guerre mondiale tourne
au sermon sur le colonialisme.
Droits, fiers et chantants, étaient les
“indigènes » sur la scène, à Cannes, en
mai 2006. Un peu plus droits, mais plus
du tout chantants, sont-ils quatre mois
plus tard sur l’affiche du film. L’heure
est grave. Le film de Bouchareb s’attaque à un
sujet passionnant : l’arrivée en France, en 1943,
d’une troupe d’Africains du Nord, tiraillés
entre leur attachement pour la métropole et
une conscience politique naissante, l’excitation
de la découverte du territoire français et la
possible désillusion, le souci de bien faire et les
humiliations hiérarchiques.
Là est le problème : le poids du sujet, lesté par
le contexte particulier dans lequel sort ce film
en France, où l’on a pu assister cette année à
de violentes polémiques sur le traumatisme
postcolonial. Bouchareb, obnubilé par l’actualité
de son projet, impose à ses personnages
des dialogues qui ressemblent plus à des débats
plombés par une maladroite rhétorique
anachronique estampillée 2006 qu’à un “parler
1943î. Question de vocabulaire ? C’est avant
tout une question de posture.
Les indigènes se dressent, et le film avec. Tension
de la guerre ? de la peur ? de la révolte
naissante ? Malheureusement non. Les péripéties
sont à peine filmées dans le présent de
leur déroulement et l’imprévisibilité de leur
devenir qu’elles sont intégrées dans la grande
geste du Sacrifice de leurs officiants. L’Histoire
est déjà là, alors que l’histoire se montre
à peine. Et cette geste du Sacrifice est elle
ellemême
sous-tendue par une posture ultracontemporaine,
la revendication, qui espère
redonner une fierté perdue aux victimes en
transformant ce bout d’Histoire en une cour
crispée des plaignants. La revendication n’est
que la forme psychologisée de la colère, là où
on aurait aimé voir une forme plus politique,
patiente, orgueilleuse, retorse.
Quelquefois, Bouchareb oublie son sujet, et
quelques beaux moments surgissent : Jamel
court après un cheval dans les bois. Quelquefois,
il fait confiance à la seule mise en scène,
et Naceri contemple, troublé, les photos d’une
famille française. Ou encore, il retrouve, dans
les scènes entre Jamel et son chef français,
toute la complexité de cette époque, pas encore
platement clarifiée par la perspective du
ressentiment. Par deux fois, on pense à ce que
Fuller et Fassbinder auraient fait d’un sujet
pareil : le premier pour la traversée d’un territoire
progressivement désolé (The Big Red
One), le second pour la confrontation entre
deux corps étrangers.
Que demande le film ? Là où il aurait pu faire
du spectateur un héritier troublé de l’Histoire
de France, il en fait juste un homme vaguement
honteux. La bande d’acteurs a été
récompensée collectivement à Cannes, et on
ne peut s’empêcher d’y voir une repentance
du jury, la vague honte obligeant à se débarrasser
promptement d’un fardeau, à faire un
prix de gros. Quant à nous, s’il fallait n’en
choisir qu’un, ce serait l’halluciné Samy Naceri.
Egaré, il donne l’impression de ne rien
comprendre au sujet du film, et c’est tant
mieux.
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