Très belle exploration des transformations d’un quartier du Queens en cours de gentrification.
Frederick Wiseman, 86 ans, est un obstiné. Il s’est imposé des règles désormais fameuses : aucun commentaire en voix off, pas même d’incrustations de mots à l’écran qui permettraient de connaître le nom ou la fonction des individus qui constituent les communautés (son grand sujet) qu’il filme.
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La vérité, c’est qu’en écoutant et regardant les gens, on finit toujours par savoir qui ils sont. Wiseman s’est par ailleurs toujours attaché à décrire les grandes institutions (hôpital, théâtre, université, etc.), essentiellement américaines (mais il a aussi tourné en France).
Démocratie vivante
Cette fois-ci (il n’arrête pas de tourner), Wiseman est allé poser sa caméra à Jackson Heights, un quartier du Queens, à New York. On comprend très rapidement de quoi il retourne. Ce quartier populaire est depuis longtemps un lieu où les communautés les plus rejetées (qu’elles soient ethniques ou sexuelles) se sont retrouvées, unies, et même apparemment aimées. Et cela continue aujourd’hui.
Seulement, comme dans toutes les grandes villes du monde, quand Wiseman arrive, ce quartier est en train de se “gentrifier”. Les prix montent, les gens partent, les communautés et les amitiés se défont. Constat universel qui pourrait être triste. Mais ce que montre Wiseman, au-delà de la fin d’une époque et du début d’une autre, dans une petite partie du monde, c’est la beauté d’une démocratie vivante. Malgré tout.
La démocratie, à Jackson Heights, se vit dans des réunions de pâtés de maison, d’associations, de paroisses. Des fêtes. Des lieux où les gens viennent parler les uns après les autres, s’écouter sans se couper la parole, sans se juger et sans peur. Ils sont portoricains, ils sont homosexuels, ils sont noirs ou blancs, jeunes ou vieux, parlent toutes les langues et pratiquent différentes religions, ou tout cela à la fois, ils représentent la police ou les transsexuels, mais ils se parlent et tentent d’arrondir les angles, de s’entendre (même si la plupart ne parlent que leur langue d’origine), de faire en sorte que les choses tiennent les unes avec les autres.
Foi en l’homme
Nulle illusion, pas d’utopie chez Wiseman : Jackson Heights continuera à se dissoudre. La paix sociale, la fin de l’ultralibéralisme ne sont pas pour aujourd’hui, et le film est loin de faire dans le patriotisme démocrate larmoyant ou angélique.
Mais pour ces moments qui témoignent d’une réalité, des valeurs politiques d’hommes et de femmes comme vous et moi, qui tentent simplement de vivre le mieux possible ensemble en respectant ce qu’est l’autre et en s’affirmant tels qu’ils sont, on remercie une nouvelle fois Frederick Wiseman : il a toujours foi en l’homme et nous le communique. C’est énorme. C’est l’un de ses plus beaux films.
In Jackson Heights de Frederick Wiseman (E.-U., 2015, 3 h 10)
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