Le martyre d’Alan Turing, informaticien génial persécuté pour son homosexualité dans l’Angleterre puritaine d’après-guerre.
Dans la bataille des génies britanniques faisant actuellement rage sur les écrans, et bientôt aux oscars, il ne fait aucun doute qu’Alan Turing l’emporte sur Stephen Hawking qui, le pauvre, mérite mieux que sa piteuse Merveilleuse histoire du temps. Biopic ultraclassique, The Imitation Game retrace le principal accomplissement du mathématicien et informaticien : le cassage du code nazi Enigma durant la Seconde Guerre mondiale grâce à l’invention du premier proto-ordinateur.
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Comme tout biopic qui se respecte, le film multiplie les temporalités (pas moins de trois), avance d’anecdotes signifiantes en flash-backs pontifiants, suspend le destin de l’humanité à quelque épiphanie (tout ne tient, apprend-on, qu’à un bulletin météo) et celui de son protagoniste au sempiternel trauma adolescent (petit déjà, Alan aimait les garçons, mais pas tellement les gens). On connaît la fin, tragique : accusé de perversion homosexuelle en 1952 et renvoyé de l’Université, il fut astreint à une castration chimique et se suicida deux ans plus tard dans l’indifférence la plus totale — pour cause de secret défense, son rôle historique ne sera dévoilé que des décennies plus tard, et sa personne réhabilitée seulement en 2013.
Malgré ses conventions narratives parfois pénibles, The Imitation Game parvient pourtant à captiver. Sous les traits reptiliens du génial Benedict Cumberbatch, Alan Turing apparaît en effet comme un être fascinant, à la fois extrêmement sensible et dénué d’empathie, doté d’une capacité ahurissante d’analyse mais incapable de dépasser la littéralité du sens. Autrement dit, il est lui-même un ordinateur, tandis que sa machine tend à s’humaniser, jusqu’à porter le prénom de son premier, et sans doute seul, amour. Qui, dès lors, imite l’autre ?
L’analogie est certes facile, mais Morten Tyldum, le réalisateur norvégien du film, lui donne une belle épaisseur morale lorsqu’il s’agit pour Turing et son équipe, une fois le code craqué, de déterminer comment utiliser ce nouveau pouvoir sans attirer l’attention de l’ennemi, et ainsi qui sauver ou non du feu allemand. Là encore, c’est une approche froide et analytique, assez antipathique donc, qui prédominera : les maths n’ont pas d’affect. Historiquement plutôt fidèle – les exemples de fictions hollywoodiennes peu scrupuleuses sur ce point sont trop nombreuses pour ne pas le souligner –, The Imitation Game achève ainsi le portrait de son héros mal aimable et mal aimé, celui par qui le “scandale” arriva et avec lui l’ère des Steve Jobs, des Mark Zuckerberg et des Julian Assange (joué justement par Benedict Cumberbatch dans Le Cinquième Pouvoir – quoi de plus logique ?).
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