Film de gangsters muté en songerie opiacée et proustienne, le plus beau film du monde, restauré et augmenté de scènes inédites.
Faut-il rappeler que cet ultime Leone est le plus beau film du monde ?
Faut-il redire les boucles du temps proustiennes, l’amitié violente entre Noodles et Max, l’amour malade entre Noodles et Deborah, la comparaison entre l’opium et la cinéphilie, la partition sublime de Morricone, les splendides enchaînements du montage, le New York recréé à Montréal, à Paris, à Venise… et à New York, le parallélisme entre Noodles qui délire sa vie et Leone qui rêve le cinéma américain dans sa version mélancolique d’ancien enfant ? Oui, pour ceux qui ne l’ont jamais vu. Quant à ceux qui ont déjà fait la visite dans la tête de Leone-Noodles, ils n’en sont toujours pas revenus.
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Ce masterpiece ressort en salle en copie numérique restaurée par la Cineteca di Bologna et… roulez tambours, sonnez hautbois, résonnez musettes… ajoutde huit scènes inédites ! Déroulons le fil de ces vingt-deux minutes nouvelles par le menu, avec une remarque préliminaire : retrouvées sur des bobines positives altérées par le temps, ces scènes sont étalonnées en dominante vert-bleu qui tranche avec les couleurs chaudes du film et leur confère un aspect exogène.
Scène 1. Le vieux Noodles (De Niro, grimé) vient de découvrir le caveau luxueux où reposent ses amis. A la sortie, il rencontre la directrice du cimetière (jouée par l’inquiétante Louise Fletcher) et lui pose des questions sur l’inconnu portant son nom (David “Noodles” Aaronson), propriétaire du caveau. Au cours de cette conversation, Noodles se pense suivi par une limousine noire dont il note le numéro d’immatriculation. La scène surligne ce que l’on pressentait sans elle : Noodles est dans le viseur des mystérieux commanditaires qui l’ont fait revenir à New York trente-cinq ans après ses années gangster.
Scène 2. La bande de Max et Noodles, jeunes adultes, foncent en voiture dans la mer. Tandis que les autres émergent en rigolant, Noodles ne réapparaît pas. Inquiétude. La scène fait écho avec celle où, adolescents, ils étaient tombés à l’eau en repêchant les caisses de marchandise de leur premier gros coup : là, c’était Max qui tardait à refaire surface.
Scène 3. Noodles, alors sexagénaire, fait une première incursion devant le portail de la propriété retrouvée grâce au numéro d’immatriculation de la limo aperçue au cimetière, laquelle apparaît dans la rue… et explose. Noodles et le spectateur ne savent pas encore qu’elle est celle de Max/Bailey. Le duel métaphysique entre Noodles et Max se précise mais le jeu de piste était déjà lisible dans la version précédente.
Scène 4. Noodles discute avec le chauffeur de la limousine qui conduira
le jeune homme et Deborah à un dîner romantique dont l’issue sera le viol de la jeune femme. De quoi parlent les deux hommes ? Des nazis qui commencent à massacrer les Juifs en Europe (on est en 1933), de l’incompatibilité entre l’éthique juive et le gangstérisme… Dialogue qui confirme ce que j’ai toujours pensé de ce film sans en être absolument certain : Il était une fois en Amérique évoque de façon allusive la Shoah et la disparition du Yiddishland. A noter que le chauffeur est joué par Arnon Milchan, le producteur israélo-américain du film.
Scène 5. Deborah boit un verre au buffet Belle Epoque de Grand Central (en réalité notre gare du Nord) avant de prendre son train pour Hollywood et de quitter Noodles.
Scène 6. Déprimé par sa rupture avec Deborah, complètement ivre, Noodles rencontre Eve dans un bar où elle tapine. Il la fait monter dans sa chambre, lui glisse un gros billet et lui demande de le laisser l’appeler Deborah. Elle accepte avec le sourire mais malgré cela, Noodles ne parvient pas à bander. Quand il se réveille, elle est déjà partie mais lui a laissé un mot : “La prochaine fois, j’espère moins d’argent et plus de travail.” Très belle séquence, illuminée par la superbe Darlanne Fluegel, la quatrième et trop peu louée grande actrice de ce film.
Scène 7. Bientôt les retrouvailles entre Deborah et Noodles, mais leur histoire est sans retour. Pour l’heure, sur scène, Deborah joue le rôle de Cléopâtre. L’intérêt est de la voir exercer son métier d’actrice, avec une sorte de masque mortuaire, dans un rôle qui fait écho à sa situation
de femme vieillissante, affectivement “déjà morte”.
Scène 8. Avant son showdown anti-climax avec Noodles, Max momifié discute avec son vieux “partenaire”, le syndicaliste O’Donnell, dans son bureau-tombeau. Max est sénateur, englué dans des affaires, cerné par des tueurs. O’Donnell est un leader puissant et corrompu qui conseille
à Max de se suicider, avant de lui faire signer un ultime pacte faustien.
Aucune de ces scènes inédites ne révolutionne le film. Elles précisent certains contours scénaristiques, parfois inutilement, éclairent un peu plus sa dimension juive, approfondissent le portrait de Noodles, insistent sur les liens entre pouvoir, syndicalisme et mafia. Il était une fois en Amérique avait été massacré par le distributeur américain, Warner, qui avait cru bon de ramener le film de 4 h 25 à 2 h 19, et de replacer toutes les séquences chronologiquement. Un véritable crime artistique. La version connue jusqu’à présent, acceptée par Leone, faisait 3 h 49. Cette version nouvelle menée par les enfants Leone dure 4 h 11 et correspond au vrai désir du cinéaste.
Pourtant, ces séquences prouvent par l’absurde que quelques coupes bien ajustées n’ont pas fait de mal au film, voire l’ont amélioré, une ellipse étant parfois préférable à une scène explicite. Mon plaisir étant la petite discussion entre Noodles et son chauffeur ainsi que sa rencontre avec Eve, deux belles scènes, même si elles ne changent pas fondamentalement l’ensemble. Au final, 3 h 49 ou 4 h 11, plus beau film du monde.
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