Un escroc mythomane peut-il éprouver des sentiments sincères ? Et une farce burlesque peut-elle virer au mélo gay lacrymal ? Tout est possible pour le géant Jim Carrey.
I Love You Phillip Morris commence pratiquement comme Man on the Moon s’achevait, il y a tout juste dix ans : par l’agonie de Jim Carrey, malade du sida en phase terminale, qui met son ultime masque pour raconter en flash-back la façon dont il en est arrivé là.
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Le film de John Requa et Glenn Ficarra s’inscrit ainsi dans la lignée des grands “Carrey movies”, qui tous posent la même question : qu’y a-t-il donc derrière le(s) masque(s) ?
A la réponse, définitive, de Milos Forman (rien, si ce n’est un interminable fou rire), les deux réalisateurs débutants (mais scénaristes du notable Bad Santa) apportent un complément : il n’y a certes rien derrière le masque, mais ce rien ne pourrait-il pas constituer, après tout, le début de quelque chose ? Et de proposer là un audacieux mélange de comédie, de romance et de mélodrame – et tenter de résoudre, enfin, la cerclature du Carrey… En trois actes.
Le premier tiers est une pure comédie, centrée sur le coming out de Steven Russell, modeste flic et bon père de famille marié à une bigote (Leslie Mann, toujours très drôle), qui décide de mener sa vie comme il l’entend après un grave accident de voiture. Succession de séquences clippées, brillamment écrites, mises en scène avec une précision étonnante pour des débutants, cette première partie séduit, mais ne se démarque pas foncièrement des standards (très élevés) de la comédie américaine, si ce n’est par son tropisme gay qui a tant fait jaser aux Etats-Unis.
Après son passage à Sundance, le film aurait, dit-on, été boycotté par les distributeurs. Mais, contrairement au Secret de Brokeback Mountain, nulle revendication ici, si ce n’est celle, universelle, de l’hédonisme. Rien dans l’homosexualité du héros qui ne fasse véritablement problème, au-delà de quelques jokes.
Paradoxalement, cette naturalisation de la question gay – le film n’aurait pas été très différent avec un hétéro – est peut-être ce qui a tant gêné outre-Atlantique…
Le second tiers (le meilleur) suit Russell en prison où, arrêté pour arnaque aux assurances (“parce qu’être gay, ça coûte cher”), il rencontre le fameux Phillip Morris, codétenu timoré et sensible joué par Ewan McGregor (juste ce qu’il faut de présence pour tenir face au monstre Carrey) et en tombe éperdument amoureux.
Et cet amour, attesté par le titre, donne ses plus belles scènes au film, lorsque les blagues, toujours brillantes, se doublent d’une romance sincère. Sincère, vraiment ?
C’est précisément sur cette question que le film est très fort : comment un homme qui passe son temps à tricher, au visage élastique en perpétuelle reconfiguration, empilement de masques destinés à tromper le monde et la mort – Jim Carrey dans ses exploits communs, donc –, peut-il faire preuve de sincérité ?
Ce doute en bandoulière, le film glisse subrepticement, dans sa troisième partie, vers le mélodrame lacrymal. Sans retenue, sans filet. Pour avouer, l’instant d’après, qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Avant de replonger, illico, dans un bain de larmes. Puis d’avouer que la baignoire avait en fait un double fond.
Et ainsi de suite jusqu’à la (non-)fin, qui, avec sa petite rengaine dix fois rejouée, indique que tout cela pourrait encore durer une heure et demie… On pourrait s’attendre, à ce point, à voir l’irruption d’un jugement moral, à ce que les innombrables masques de Steven Russell lui explosent à la figure, dans un grand élan rédempteur.
Heureusement, cette piste exaspérante – explorée de fond en comble par Jason Reitman dans le récent In the Air, par exemple – est vite rejetée. Et à mesure que Russell s’entête dans sa fuite en avant, on comprend une chose importante : il n’y a chez lui aucune duplicité ; seulement un premier degré, désarmant lorsqu’il crie à son amant resté derrière les barbelés : “I love you Phillip Morris !”
Chez Requa et Ficarra, ce qui est, est. Et si la sincérité de leur personnage est totale, c’est précisément que derrière les masques, il n’y a rien.
Leonardo DiCaprio, dans Arrête-moi si tu peux (auquel on pense nécessairement), courait après une image précise du bonheur, celle du chromo familial interrompu.
Jim Carrey, lui, ne court qu’après la satisfaction de son bonheur matériel immédiat : être gay (et amoureux) coûte cher, point. Sans attaches, sans famille (question réglée avec une valise de billets et quelques gags hilarants), sans profondeur donc, il n’est que surface, visage-monde sur lequel tout se lit, à ciel ouvert.
Quant aux mensonges, ce sont les autres qui les écrivent, tel ce juge qui se piège lui-même en invoquant une jurisprudence, ou ces médecins incapables de diagnostiquer la bonne maladie.
Au début du film, Steven Russell, enfant, scrute ainsi l’azur avec ses petits camarades. “Regardez, regardez, s’exclame-t-il, un nuage en forme de bite !” Les autres enfants, mi-choqués mi-surpris, disent ne rien voir. “Mais si, mais si”, insiste-t-il.
Et en effet, le contre-champ nous montre, avec un temps de retard, qu’il avait raison. Il suffisait simplement d’y croire.
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