Macadam cowboys. Un écrivain enquête sur les milieux homosexuels de Santa Monica Boulevard et tombe amoureux d’un prostitué local : ainsi pourrait-on (mal) résumer Hustler white. A cheval sur le documentaire et la fiction, la parodie et la mélancolie, les grands classiques hollywoodiens et le cinéma expérimental, Bruce LaBruce et Rick Castro saisissent une réalité […]
Macadam cowboys. Un écrivain enquête sur les milieux homosexuels de Santa Monica Boulevard et tombe amoureux d’un prostitué local : ainsi pourrait-on (mal) résumer Hustler white. A cheval sur le documentaire et la fiction, la parodie et la mélancolie, les grands classiques hollywoodiens et le cinéma expérimental, Bruce LaBruce et Rick Castro saisissent une réalité peu connue de Los Angeles, quelque part entre Billy Wilder et Kenneth Anger.
Ca commence comme Sunset Boulevard, puis ça évoque Macadam cowboy, Mort à Venise, ou même le Model shop de Demy, déambulations dans Los Angeles obligent. Mais de loin. Hustler white de Bruce LaBruce et Rick Castro n’est pas une major production, encore moins un film d’auteur normalisé, mais un projet fauché tourné à la hussarde dans les rues de Los Angeles, sans doute sans les autorisations administratives habituelles. Une production irréductiblement indépendante rappelant surtout les audaces d’un Warhol, la liberté d’un Kenneth Anger, ou encore l’esprit parodique des séries Z inondant le marché parallèle américain depuis des lustres. Hustler white déroule ainsi une enfilade de séquences marquantes que l’on ne risque pas de trouver dans un cinéma de consommation courante. Echantillon : un homme jouit en se faisant taillader le corps à la lame de rasoir (saignant) ; un autre se fait pénétrer par le moignon de son partenaire unijambiste (surréaliste) ; un jeune angelot blond comme les corn-flakes se fait enculer à la chaîne par un groupe de Noirs plutôt musclés (contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas sordide, c’est hilarant et c’est aussi une belle métaphore des effets de la culture noire américaine sur le public blanc)… Mais le plus étonnant réside dans le regard que les cinéastes posent sur ces diverses pratiques sexuelles plus ou moins scabreuses, plus ou moins déviantes : bannissant tout sensationnalisme ou tout effet de voyeurisme glauque, LaBruce et Castro adoptent un point de vue partagé entre neutralité documentaire, empathie tendre et humour salvateur. Un peu comme Tod Browning dans Freaks, LaBruce et Castro ont saisi avant tout, sous leur enveloppe « différente », des êtres humains.
L’histoire débute lorsque l’écrivain Jurgen Anger (« Avez-vous un lien de parenté avec Kenneth ? », lui demande-t-on à plusieurs reprises) atterrit à Los Angeles pour faire une étude anthropologique sur la population homosexuelle de Santa Monica Boulevard. Joué par Bruce LaBruce lui-même, Anger est bien sûr le double ironique du cinéaste à l’écran, une folle à la fois drôle et désagréable, une précieuse ridicule attendrissante. Notre écrivain anthropologue est troublé dans son étude rigoureusement scientifique : dès son arrivée dans le quartier, il tombe amoureux de Monti (Tony Ward, mannequin célèbre pour ses apparitions dans les clips de Madonna), bel étalon qui se prostitue dans le coin, le hustler white du titre. Mais pour le moment, peu importe l’argument scénaristique, il est surtout prétexte à appliquer ludiquement le programme du personnage écrivain : une mise en coupe anthropologique du West Hollywood gay. Un peu comme dans un western, on prend la mesure d’un territoire, on apprend quels sont ses frontières, ses lieux symboliques, ses rituels, les règles et codes plus ou moins tacites qui le régissent… On constate que (à l’exception des femmes, grosse exception quand même) la population gay se subdivise peu ou prou de la même façon que la population américaine en général : il y a les gays cowboys, les gays skins, les gays bikers (peut-être sous acide), les gays straights qui viennent de quitter leur femme et leurs mômes, les gays noirs, ceux à cheveux longs, à poil roux, etc. C’est United Colors Of Penetrons. LaBruce et Castro filment tout ce monde avec un mélange d’empathie et d’ironie, désamorcent les potentialités de violence par un humour décalé rappelant un peu Tarantino, une dimension cartoonesque évoquant Russ Meyer. Voir la scène burlesque digne de Keaton où Anger/LaBruce fait involontairement capoter un tournage porno en pleine action ; ou bien le moment où Monti roule par inadvertance sur la jambe d’un de ses collègues et lui tranche le pied par pure maladresse ; ou encore la séquence dite du « Black power » évoquée plus haut… Cet humour tarantinesque serait peut-être plus lourd à avaler dans le cadre d’une production plus léchée, plus fortunée ; mais ici, tout passe comme une lettre à la poste parce que le film est entièrement placé sous le signe de la modestie, du ludisme et du système D. Des conditions de bricolage qui n’empêchent pas LaBruce et Castro de faire preuve d’inventivité : voir notamment les effets de montage, ou l’utilisation originale du son lorsque Monti enchaîne dans le même mouvement voix off et dialogue cursif.
Malgré quelques séquences salées et la présence d’organes sexuels (parfois turgescents) dans le champ, Hustler white n’est ni un porno ni un reality-show sordide mais, selon le mot de ses auteurs, « une comédie romantique dans la tradition des grands classiques hollywoodiens ». En effet, après avoir fait le tour de ces fameux blocks de Santa Monica Boulevard, qui est aussi un tour des diverses expériences homosexuelles (les lacaniens pointilleux auront remarqué que les initiales de Santa Monica sont les mêmes que celles de Sado Maso), après avoir parfois bien rigolé, l’impression qui domine Hustler white est plutôt mélancolique. On a assisté à une grande nouba des corps et des sens, mais on retient surtout l’immense solitude de tous ces jeunes gens. L’image d’une poignée de dollars rythme le film : à Santa Monica, on baise pour (sur)vivre plutôt que par amour, la grande loi américaine du dollar et de la concurrence est la même pour tout le monde. Après tous ces exploits physiques, toutes ces sodomies diverses, tous ces ébats vénaux, l’aspect documentaire laisse toute la place au scénario, à la fiction : Jurgen Anger et Monti quittent Santa Monica pour rouler sur la Pacific Coast Highway. Là-bas, sur les plages mythiques de Malibu, face à des couchers de soleil de cartes postales, Anger et Monti vont établir une relation sentimentale, un rapport quasi chaste où l’amour remplacera enfin le commerce. Ce sera presque aussi beau que dans un mélodrame de Sirk ou de Fassbinder.
Bien sûr, tout est dans le presque. LaBruce et Castro ne sont ni Billy Wilder, ni Fassbinder, ni Kenneth Anger et Hustler white n’a évidemment pas l’ampleur de Sunset Boulevard (ce n’est pas son but) ni la flamboyance poétique de Scorpio rising. C’est un film des marges, du cinéma de contrebande fait avec les moyens du bord et beaucoup de passion. Dans le cadre imparti de son économie et de ses intentions, on peut parler de réussite : beaucoup de films sont tournés chaque année à Los Angeles, peu nous montrent la réalité de cette ville aussi précisément que Hustler white.
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