Le réalisateur de « Basic Instinct » clôt la compétition avec un thriller sexuel, délirant et cruel. Porté par un casting français d’exception, « Elle » est notre Palme d’Or perso.
Michèle entr’ouvre sa porte fenêtre pour laisser entrer le chat quand un homme, vêtu de latex, surgit et la viole. Elle, Michèle, c’est Isabelle Huppert (plus géniale que géniale), une femme d’affaires intransigeante qui gère sans pitié une entreprise de jeux vidéo. Elle entretient une liaison indifférente avec le mari d’Anna, son associée et meilleur amie (Anne Consigny), une liaison dont on perçoit qu’elle lui procure surtout le plaisir de souiller cette brave Anna… Même en cachette, on peut avoir ses petits plaisirs.
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Elle, passionnée
Première question : comment va-t-elle réagir ? D’abord, Michèle ne dit rien à ses proches. Déni ? Dureté au mal ? Nous allons le découvrir. Seconde question : qui est le violeur ?
A vrai dire, le suspense du film ne réside pas vraiment dans la résolution de l’énigme – assez facile à deviner. Non, il se trouve dans la nature de la relation qui va bientôt s’établir entre le violeur et sa victime, un rapport qui va évoluer, se renverser, trouver un équilibre et un aboutissement dont nous ne dirons rien. Michèle va jouer avec le feu avec délices (allumer le désir du violeur), au péril de sa vie, pour vivre ses propres fantasmes et en jouir intensément.
Elle est une histoire de passion. Ou comment deux êtres habités, pour une raison inconnue (et dont le film obscurcit le mystère plus qu’il ne l’élucide), de fantasmes sexuels indicibles, violents, et surtout criminels pour l’un, ont la chance de rencontrer leur pendant. Celui qui leur correspond totalement, qui le remplit d’extase, qui accepte et désire et jouit de ces pulsions effrayantes, et une fois de plus répréhensibles par la loi.
Elle, sexuelle
Soyons clairs : Elle n’atténue pas la violence de l’agression sexuelle, mais décrit la rencontre improbable et fusionnelle de deux monstres sexuellement compatibles. Jamais non plus, il ne se fait porteur d’un discours insupportable, hélas bien connu, qui prétend que toutes les femmes rêvent secrètement d’être violées. Bien au contraire, et c’est en cela qu’il est universel et dépasse la simple description de deux singularités extrêmes, Elle met à égalité hommes et femmes, nous dit qu’il n’y a pas une seule forme de sexualité féminine ou de sexualité masculine. Que ce n’est pas le genre qui détermine la sexualité.
C’est ce que montre très bien la scène où Huppert, cachée derrière un rideau et une fenêtre, se masturbe tranquillement en regardant l’être qu’elle désire évoluer à l’extérieur de la maison. Une scène simple, évidente, souvent montrée au cinéma avec un homme comme protagoniste, mais quasiment jamais avec une femme. En tout cas dans un film qui va être distribué dans des circuits de distribution commerciaux habituels. Car le cliché selon lequel seuls les hommes seraient des voyeurs est établi comme une norme. Or le sexe n’est pas une norme.
Elle, grandiose
On notera également avec quelle acuité le grand cinéaste hollandais Paul Verhoeven filme pour la première fois la France, sa bourgeoisie, a su en saisir les arcanes. Et même s’il a été aidé en cela par le roman de Philippe Djian Oh…, dont Elle est une adaptation. Comment surtout il a su choisir et diriger des acteurs connus en France, utiliser l’image qu’ils ont pour le public français. Laurent Laffite fait du Laurent Laffite (le gendre idéal en apparence, un peu surnois sur les bords), Anne Consigny du Consigny (la copine, la victime), Efira pas tout a fait du Efira (elle est sublime dans sa dernière réplique du film), mais il suffit d’un rien pour que ces images se retournent contre nos idées reçues.
Ce petit rien, c’est tout le génie de Verhoeven. Sa mise en scène,d’une rigueur presque obsessionnelle, est toute au service d’un regard lucide et cruel, mais pas si malveillant que cela, sans moralisme, sur l’humanité et le cinéma – car Elle est évidemment un film sur le regard.
Ce n’est pas la première fois que Verhoeven, dont la carrière hollywoodienne compte de grands films : Starship Troopers, Robocop, Basic instinct, etc., s’attaque à un sujet provocateur et mine de l’intérieur un genre, ici le thriller, aux codes très établis (films de guerre, de SF, d’adultère…).
Mais il le fait ici avec une telle intelligence, une ironie si ravageuse, un tel dédain de la morale bourgeoise et une telle maîtrise du cinéma et de son langage, que le spectacle en devient passionnant, magnifique, grandiose.
https://www.youtube.com/watch?v=2sUlyPkg3Iw
Elle de Paul Verhoeven (Fr/All., 2016, 2h10). Avec Isabelle Huppert, Laurent Laffite, Virginie Efira, Charles Berling, Anne Consigny. Sélection officielle: en compétition.
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