Un écrivaillon tue accidentellement sa gouvernante et fait accuser un innocent du meurtre. Dans ce film noir, Fritz Lang érige le crime et la culpabilité en sources d’inspiration littéraire.
Devant House by the River, on est en droit de se demander: est-il question de meurtre ou d’inspiration, du fil de l’eau (premier titre français du film) ou du fil de la plume ? Force est de constater qu’il s’agit de la même chose. L’histoire est simple, celle d’un film noir décharné : à la fin de l’ère victorienne, Stephen Byrne, un écrivain raté, est sexuellement attiré par sa nouvelle domestique.
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Un jour, alors que sa femme est en déplacement, il essaie de l’embrasser : celle-ci se débat, Byrne la retient et tente de la faire taire car un visiteur sonne à la porte. Le regard sur l’entrée, l’homme ne se rend pas compte qu’il étrangle la jolie servante (Lang aurait voulu qu’elle soit noire mais les producteurs s’y opposent) qui tombe à ses pieds.
Avec l’aide de son frère, il jette le corps dans le fleuve marécageux qui jouxte sa maison et tâche de reprendre une vie normale tandis qu’on s’alarme mollement de la disparition de la servante – mais on invoque vite sa réputation sulfureuse.
Un film peuplé de criminels en puissance
Il y a ce gros plan terrifiant, totalement langien, totalement hitchcockien aussi, sur les mains de Byrne qui vivent leur propre vie, deviennent autonomes et étranglent la jeune femme – la pulsion sexuelle se retourne en meurtre et tout le film, d’ailleurs, est peuplé de personnages sexuellement frustrés, des criminels en puissance.
Ces mains qui tuent prennent ensuite la plume (ou, devrait-on dire, l’étranglent ?) pour écrire des histoires qui trouvent enfin preneur : parce qu’il a tué, parce qu’il a traversé un cauchemar, Byrne devient enfin un vrai écrivain. On sait aussi que la première femme de Lang a été retrouvée morte, tuée d’une balle qui provenait de l’arme de son mari.
Sur cet événement, le grand exégète de l’œuvre langienne Bernard Eisenschitz écrit : “Il découvrit alors pour la première fois à quel point circonstances et motifs de suspicion peuvent être précaires. C’est de cet incident que date l’habitude qu’il avait de noter chaque événement de la journée.” Et dans House by the River, la rumeur s’acharne encore contre un innocent.
Quelques grands films hollywoodiens ont parlé de l’inspiration de l’écrivain : L’Aventure de Madame Muir (1947) de Mankiewicz ou encore Twixt (2012) de Francis Ford Coppola ; la création littéraire est rendue possible par une traversée, un rêve, la visite d’un fantôme, un crime.
Pas de fiction sans culpabilité
Elle n’a lieu qu’à condition que le héros se coupe tout à fait du reste de l’humanité pour se replier sur un événement qu’il ne peut pas partager. Il lui faut de l’inavouable pour enfin écrire. Byrne écrit son roman, jamais loin du fleuve qui, sous son calme apparent, charrie des ordures, des carcasses d’animaux et des cadavres humains.
C’est dans cette eau que Byrne trempe sa plume et le fleuve incarne le mouvement même de son inspiration: il y jette les futurs personnages de son roman intitulé The River. Byrne devient écrivain à partir du moment où une ombre se jette sur ses actes. En termes langiens, pas de fiction sans culpabilité.
House by the River de Fritz Lang, avec Louis Hayward, Jane Wyatt, Lee Bowman (E.-U., 1950, 1h22, reprise)
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