Un “petit grand” film du maître, d’une beauté vénéneuse, où suintent érotisme et morbidité.
LE FILM : A cause d’obscurs problèmes de droits, House by the River était un Fritz Lang rare, jamais distribué en France, un vrai trésor caché. Ceux qui avaient eu la chance de le découvrir il y a une vingtaine d’années au Cinéma de minuit de Patrick Brion s’en souvenaient comme d’une splendide série B, un des très beaux films noirs de Lang. Cette sortie DVD est donc un vrai bonheur cinéphile et permet de confirmer que l’on ne s’était pas trompé. Un écrivain raté veut coucher avec sa domestique un soir de solitude ; face à son refus, il la tue accidentellement ; sollicitant l’aide de son frère, il jette le cadavre dans la rivière bordant sa maison. De cette trame classique, Fritz Lang tire un petit bijou d’expressionnisme et de poésie nocturne, infusé par le désir – et sa copine la frustration –, déclinant ses motifs favoris tels que la culpabilité ou la rumeur sociale. La maison pleine d’ombres et de recoins sombres, les jambes blanches et dénudées de la fille se détachant dans un escalier obscur, le désir qui naît à l’écoute d’une canalisation dans laquelle s’écoule l’eau du bain pris par la domestique, l’eau de la rivière qui scintille sous la lune et qui charrie ses ordures et ses cadavres le jour, une lumière constamment entre chien et loup, la pointe d’une barque fendant les algues, autant de scènes inventives, de plans marquants, de symboles sexuels et psychanalytiques qui baignent le film d’un érotisme permanent teinté de morbidité. La création joue aussi son rôle puisque l’impuissance sexuelle de l’écrivain est reliée à son impuissance littéraire. Le crime dénouera son inspiration et le manuscrit enfin achevé sera l’élément de sa perdition, le biais par lequel il s’autodénoncera plus ou moins consciemment. Un triangle amoureux entre les deux frères et l’épouse de l’un d’eux et le portrait de la société de la petite ville où se déroule l’intrigue complètent ce “petit grand” film, tourné pour un studio mineur avec des acteurs peu connus, mais d’une grande densité thématique, d’une beauté vénéneuse irrésistible.
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LE DVD : Copie parfois légèrement rayée, mais on suppose qu’un négatif parfait était introuvable. Bonus excellents. Pierre Rissient raconte l’historique du film et décrit comment Lang consignait maniaquement tous ses faits et gestes de la journée parce qu’il avait été accusé, jeune, du meurtre de sa femme. Patrick Brion parle plus de l’oeuvre de Fritz Lang que de ce film, avec sa voix et sa précision de dictionnaire habituelles. Le trésor des bonus est un entretien avec Lang réalisé par William Friedkin en 1975, un an avant sa mort : si le maître répugnait à analyser ses films en profondeur (Friedkin en dit presque plus que lui sur le thème du Mal et la façon dont les films allemands de Lang annonçaient le nazisme), il raconte merveilleusement quelques épisodes importants de sa vie de cinéaste, notamment son entrevue avec Goebbels et sa fuite d’Allemagne en 1933.
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