Un des plus beaux films français de tous les temps : le récit des amours tourmentées de Deneuve et Dewaere dans un Biarritz hanté.
En 1981, Téchiné a déjà tourné avec plusieurs grandes actrices de son époque : Bulle Ogier, dans Paulina s’en va (1969), Jeanne Moreau, pour incarner l’héroïne de Souvenirs d’en France, Isabelle Adjani dans le polar tourmenté Barocco, puis dans Les Sœurs Brontë aux côtés d’Isabelle Huppert et Marie-France Pisier. Mais il doit attendre son cinquième long métrage, Hôtel des Amériques, pour filmer celle qui est à la fois une de ses plus grandes admirations de jeune cinéphile et qui deviendra l’actrice fétiche de son cinéma : Catherine Deneuve. Avec l’interprète de Peau d’Ane et des Demoiselles de Rochefort, le cinéaste capte un mythe féminin arrivé à maturité. Encore jeune, mais sans les traits juvéniles de ses rôles chez Jacques Demy, Deneuve incarne un nouveau type de jeune femme : virginale et tourmentée, semblant rongée par un mal intérieur.
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Maison abandonnée
Le mal dont souffre l’héroïne d’Hôtel des Amériques est révélé tard dans le film : Hélène a perdu un amour – son mari s’est noyé. Le seul vestige de leur mariage est une maison vide, abandonnée, que le mort lui a léguée près de Biarritz. Cette demeure immense et close, nommée La Salamandre, Hélène va tenter de l’habiter avec le nouvel homme de sa vie : Gilles (Patrick Dewaere), un garçon lunaire sans emploi qui l’entraîne dans les tourmentes de la passion.
Dès les premières images, on devine la tonalité de cette histoire d’amour : comme la mer déchaînée qui vient s’écraser contre la grève, la liaison entre Hélène et Gilles sera impérieuse, violente, profondément perverse. Mais des plans de l’océan bleu et étale, celui que peut contempler Hélène de son studio en ville, témoignent d’une plénitude, d’un absolu merveilleux. La plus belle façon d’échapper à la solitude des personnages au monde.
Tourné dans un Biarritz quasi fantôme, pluvieux et en bord de mer, Hôtel des Amériques trace les limites d’un univers où chacun n’est que de passage (l’hôtel par essence) tout en rêvant d’ailleurs (les rêves de gloire de Gilles et son comparse musicien Bernard et leur velléité continuelle de départ “en Arabie”, à Paris ou à Londres). Outre le couple central, les autres personnages semblent désœuvrés, en quête d’un sens à donner à leur vie (l’amour, la reconnaissance artistique…). Pour combler ce vide, les expédients sont divers : le jeu (les nombreuses scènes de casino), la bagarre (aller “casser du pédé”)…
Haine de soi
Mais nulle addiction ne surpasse la passion dans sa capacité à triompher de l’absurdité de la vie. Il y a un prix à payer : la souffrance. Culpabilité, haine de soi sont les réservoirs où ces amants vont puiser la fougue de leurs baisers, aspirés par un climat de danger croissant. Téchiné le matérialise par un rapport de mise en scène à la vitesse : les excès de conduite en voiture ; les corps mobiles, jamais en place, inscrits dans la fuite, la course, les retrouvailles ; le débit de Deneuve, grande spécialiste des répliques mitraillette.
Avec Hôtel des Amériques, Téchiné invente le mélo froid – opposé à sa version hollywoodienne chargée de motifs dramaturgiques et émotionnels. La fatalité amoureuse se combine à un sens accru de la coupe et du montage, d’hyperréalisme de la relation. Seule la musique enfiévrée de Philippe Sarde (compositeur fétiche du cinéaste) restitue les accents torturés de la passion.
Hôtel des Amériques d’André Téchiné, avec Catherine Deneuve, Patrick Dewaere, Josiane Balasko, Etienne Chicot (Fr., 1981, 1h35)
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